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L’armée espagnole à Rocroi (mai 1643)

L’armée espagnole à Rocroi (mai 1643)

A Rocroi, l’armée des Flandres est commandée par don Francisco de Mello. Le duc d’Albuquerque vient d’en être nommé général de la cavalerie et Alvaro de Mello, frère de Francisco, en est le général de l’artillerie. Cette armée est scindée en plusieurs corps : l’armée de Brabant, commandée par don Andrea Cantelmo ; un corps rassemblé en Hainaut, commandé par le comte de Bucquoy ; un corps rassemblé du côté de Namur, commandé par Issembourg et un corps destiné à défendre le Luxembourg et à secourir la Bourgogne, commandé par le baron Beck. L’armée de France sera constituée à partir des corps de Bucquoy et d’Issembourg, et le comte de Fontaine sera nommé mestre de camp général de cette armée. Pour la bataille, le sergent-major de bataille, équivalent au maréchal de bataille français, sera don Jacinto de Vera.

Ci-dessus : Etat-Major espagnol à Rocroi (Aquarelle de K.A. Wilke)

L’infanterie d’Espagne

Les tercios seront, durant les guerres de Quatre-vingt et de Trente ans, le bras armé du roi d’Espagne. Et les tercios viejos en sont les unités les plus redoutées.

Un tercio compte, depuis 1632, 12 compagnies de 250 hommes, ou 15 compagnies de 200 hommes pour un tercio levé en dehors de la péninsule ibérique, soit un effectif total  de 3 000 hommes. L’ordonnance de 1632 tolère les tercios à 20 compagnies et en pratique certains auront jusqu’à 26 compagnies. Mais aucun de ces tercios n’atteindront l’effectif théorique de 3 000 hommes. Une compagnie au complet doit compter 11 officiers (un capitaine et son page, un alférez, un enseigne ou abanderado, un sergent, deux tambours, un fifre, un fourrier, un barbier et un chapelain) et 239 soldats dont 90 piquiers en cuirasse (coseletes), 89 arquebusiers et 60 mousquetaires. Dix caporaux (cabos de escuadra) font parti de ce total. La compagnie de 200 hommes doit compter, pour sa part, 70 piquiers coseletes, 90 arquebusiers et 40 mousquetaires. L’état-major permanent du tercio comprend, en plus du mestre de camp, 7 officiers supplémentaires. L’habitude prise par les fantassins de toutes nations d’alléger leur équipement, en se débarrassant de leurs cuirasses et en raccourcissant leurs piques, n’est pas du goût des autorités et l’ordonnance de 1632, modifiée l’année suivante, tente désespérément d’endiguer cette pratique. Elle prévoit cependant que les piquiers moins biens équipés soient placés dans les rangs arrières.

 

Certains tercios sont permanents, ou fixes, comme les régiment entretenus français. Les principaux tercios fixes de l’armée de terre sont (avec le nom de leur mestre de camp en 1643), les tercio viejo de los Estados de Flandes (comte de Garcies), tercio viejo de los estados de Brabante (comte de Villalba), tercio viejo de los Estados de Holanda (duc d’Albuquerque puis Baltasar Mercader), tercio fijo de Napoles (prince d’Ascoli), tercio fijo de Lombardia (Antonio de Velandia), tercio fijo de Sicilia (Francisco de Castilla), et le tercio de Saboya (Vicente Monsoriu). La Marine peut de son côté compter sur ses propres tercios stationnés en Espagne, à Naples et en Sicile.

Aux tercios purement espagnols s’ajoute l’infanterie dite des nations, levée dans les territoires dépendant de la couronne d’Espagne : Flandre, Bourgogne, Sicile, Naples et Lombardie. Les tercios italiens et bourguignons suivent la même organisation que les tercios espagnols, soit 12 compagnies de 250 hommes. Les tercios wallons suivent pour leur part l’organisation des tercios espagnols des Flandres, soit 15 compagnies de 200 hommes. Mais chaque compagnie wallonne compte théoriquement 12 officiers, 46 piquiers et 142 mousquetaires. Les règlements pour faire recrue de nation wallonne prescrivent que chaque mestre de camp doit nommer, pour chaque compagnie, un officier, deux vieux soldats et un tambour, et les envoyer aux quartiers qui leurs seront désignés. Les recrues devront être effectuées dans les pays de Hainaut, de Brabant, de Lille, de Flandre, d’Oudenarde et de Bergue. « Tous maîtres de camp soigneront sérieusement que pendant le temps de ces quarante jours, ils fassent bien ajuster les mousquets et armes à feu de leurs vieux soldats, et pour les piques ils prendront le patron de la longueur et des fers accordés avec Herscamp, marchant de Namur, dont chaque maistre de camp envoyera quérir un patron pour à l’avenant armer les piquiers de son tercio. (…) Tous les maistres de camp seront avertis qu’ils ne pourront enrôler en leurs tercios pour arquebusiers que des forts et robustes garçons, et ne soient plus jeunes que de dix-sept à dix-huit ans. » Les régiments allemands et lorrains au service de l’Espagne sont organisés sur le modèle allemand, en 10 compagnies de 250 ou 300 hommes.

Il s’agit là bien sûr d’effectifs théoriques, peut-être atteints par certains régiments nouvellement levés. En pratique, les effectifs réels s’en éloignent rapidement. En 1634, pour la campagne de Nördlingen, le tercio d’Idiaquez ne compte que 1 800 hommes pour 26 compagnies et le tercio de Fuenclara, 1 450 hommes pour 17 compagnies. De fait, les escadrons espagnols, équivalent aux bataillons français, ne dépasseront que rarement le millier d’hommes. Ils se déploient maintenant comme leurs homologues des autres nations, sur 6 à 8 rangs, les piques formant le bloc du centre, arquebuses et mousquets disposés sur leurs flancs.

Les hommes d’un tercio ne reçoivent leur solde que par tiers. Un tiers au début du mois et le second tiers quinze jours plus tard. Le troisième tiers est retenu pour l’achat de la poudre, des mèches et l’entretien ou le remplacement des équipements. Don Bernardino de Mendoza affirmait que le soldat espagnol diffère de celui des autres nations parce qu’il réclame sa solde uniquement après avoir combattu.

La cavalerie de Philippe IV

La cavalerie d’Espagne ne bénéficie pas de la même réputation que l’infanterie. Et la part des nations au sein de la cavalerie du roi d’Espagne n’en est que plus importante. La cavalerie espagnole dépend d’un capitaine général, assisté d’un lieutenant général, de quatre adjudants, et d’un fourrier-major. Mais, jusqu’à 1642, elle ne bénéficie d’aucune organisation régimentaire. Les compagnies de 25 à 40 chevaux sont regroupées de façon temporaire par des commissaires généraux. Pour combattre, elles sont réunies en escadrons commandés par le plus ancien des capitaines. La cavalerie des nations est pour sa part organisée en régiments regroupant de 5 à 10 compagnies, commandés par un colonel assisté d’un lieutenant-colonel, d’un sergent-major et d’adjudants. La cavalerie espagnole sera aussi organisée en régiments à partir de 1642, apparemment en régiments de 6 compagnies de 100 chevaux.

Les caballos corazas, similaires aux chevaux légers français, forment le corps de cette cavalerie. Comme pour leurs homologues français, l’équipement des cavaliers s’est allégé durant les années 1630, ne consistant plus qu’en une cuirasse à l’épreuve du pistolet, portée sur un buffle, deux pistolets d’arçon et une salade (ou pot). En 1648, Grammont rapporte dans ses Mémoires que les escadrons espagnols, qui s’apprêtent à recevoir la charge de la cavalerie française, « n’avaient point l’épée à la main, mais comme tous les cuirassiers espagnols portent en Flandre des mousquetons, ils les tenaient en arrêt sur la cuisse, de même que si c’eut été des lances ». Rien ne semble donc maintenant les distinguer des arquebusiers à cheval. Les compagnies de gardes, que ce soient celles du gouverneur, du général de la cavalerie ou du lieutenant général, sont probablement mieux équipées, à l’image des gendarmes français. Le gouverneur des Flandres possède deux compagnies particulières de gardes, une compagnie d’arquebusiers et une compagnie de lanciers. Les Espagnols resteront en effet la dernière nation d’Europe occidentale à utiliser des lanciers, même si on ne les trouve plus, en 1643, qu’au sein de cette compagnie de gardes.

L’artillerie

Selon Diego Ufano Velasco, l’artillerie espagnole ne compte plus, depuis 1609, que quatre calibres : le canon tirant 40 livres de balles, le demi-canon tirant 24 livres de balles, le quart de canon tirant 10 livres de balles et le quint de canon – auquel on peut substituer la quart de couleuvrine – tirant 5 livres de balles. Cette artillerie se révélera mieux servie que celle de son adversaire.

Ci-dessus et ci-dessous : 2 variantes du drapeau du tercio d’Albuquerque.

Stéphane Thion

(Illustrations de Daniel Cabrera-Pena).

La bataille de Rocroi (19 mai 1643)

La bataille de Rocroi (19 mai 1643)

Prélude à la bataille

Louis XIII, alors très affaibli, rassemble son conseil le 20 avril,  pour annoncer qu’à sa mort, la Reine prendrait la régence du Royaume. Gaston d’Orléans, son frère, sera lieutenant général de l’État et des armées ; le prince de Condé, chef du Conseil ; le cardinal Mazarin, ministre non destituable. Alors que cette décision entraîne de nombreuses intrigues à la cour, les  Espagnols vont essayer de profiter de la situation.

Le duc d’Enghien – futur Grand Condé – vient d’être nommé général de l’armée de Picardie par le Roi. Le jeune duc est à Amiens le 20 avril où il rassemble ses troupes estimées à 25 000 hommes dont 7 000 chevaux. Il prend alors les affaires en main, logeant toutes ses troupes dans des places fermées pour éviter qu’elles ne se débandent tout en se réservant la possibilité de les concentrer rapidement. Le lendemain, il reçoit une première estimation des forces ennemies, évaluées à 15 à 16 000 hommes de pied et 6 à 7 000 chevaux. Le maréchal de Guiche, qui est à Arras, lui écrit qu’il a du mal à pénétrer le dessein de l’ennemi, mais que les troupes de Bucquoy viennent de joindre celles de Francisco de Melo. Le 25 avril, Enghien apprend que l’ennemi semble vouloir prendre l’offensive sur Arras. Le 9 mai, Enghien donne rendez-vous à toute la cavalerie sur l’Oise et à son infanterie sur la rivière Authie. Puis, ayant appris que don Francisco de Melo marchait sur Valenciennes, il décide de reporter le rendez-vous de l’armée à Ancre, ordonnant à Espenan et au marquis de Gesvres de tenir prêts leurs corps d’armée respectifs.

Le 12 mai, les événements se précipitent : alors que le jeune duc est à Moislains, sept kilomètres au nord de Péronne, il apprend que les ennemis se dirigent vers Landrecies et que le comte d’Issembourg s’est présenté sous les murs de Rocroi, avec toute sa cavalerie et 1 200 fantassins. Celui-ci sera rejoint le lendemain par don Francisco de Melo. Enghien envoie aussitôt des partis en reconnaissance au-delà de l’Escaut. Il arrive le 14 mai à Fervaques, près de Saint-Quentin, sur la Somme, où il apprend la mort du Roi. Il écrit à son père, le prince de Condé, que « les ennemis ne sont qu’à une journée de moi, et que demain nous serons en présence ». Il situe les Espagnols à Hirson et leur prête l’intention d’entrer en France par Vervins. Enghien part alors pour Foigny, au nord-est de Vervins, où il dresse le camp le 16 mai. Il assure à Mazarin qu’il marchera le lendemain sur Rocroi, assiégée depuis la veille, pensant y être le 18. Il donne alors l’ordre à Gassion et à ses 1 500 chevaux d’aller camper à Bossu dès le lendemain, lieu où il a donné rendez-vous à l’armée de Champagne du marquis de Gesvres. Gassion s’exécute, repoussant devant lui les postes avancés ennemis, et parvient à jeter un secours de 100 fusiliers du Roi et 25 ou 30 de ses gardes dans Rocroi. Enghien fait sa jonction avec Espenan et Gesvres le 17, à Brunchamel, et arrive le soir même à Bossu où il retrouve Gassion.

La place de Rocroi a été fortifiée de cinq bastions et protégée de quelques demi-lunes, c’est à dire des ouvrages avancés en forme de croissant. Le tout, défendu par un peu plus de 500 soldats, parait trop fragile aux Français qui craignent que sa prise n’ouvre la route de Paris.

Gassion avait reconnu deux défilés traversant le bois de Fors et permettant de déboucher dans la plaine au sud de Rocroi. Ces défilés qui permettent d’accéder au plateau de Rocroi sont étroits et tortueux. Le 18 mai, la voie est libre et Enghien envoie Gassion avec les Croates et les fusiliers du Roi prendre pied dans la plaine. Puis, il envoie, vers 13 heures, l’aile droite de son avant-garde, c’est à dire les régiments de cavalerie Royal, Gassion (ou mestre de camp général), Lenoncourt, Coislin et Sully pour passer le défilé. Cette avant-garde sera suivie des autres corps. Dès 14 heures, la cavalerie commence l’escarmouche avec l’ennemi pour protéger le déploiement de l’armée. Ces combats d’avant-garde dureront près de 3 heures, durant lesquelles les différents corps se mettent en bataille, au fur et à mesure de leur arrivée. Cette facilité avec laquelle l’armée française parvient à déboucher des défilés est déconcertante. Enghien a tenté sa chance et le destin lui sourit déjà.

Cependant Melo ne reste pas inactif. Il part reconnaître les meilleures positions pour recevoir l’ennemi. Il considère alors qu’il ne peut rester derrière le marais, n’ayant pas assez de place pour déployer ses bataillons d’infanterie et ses escadrons de cavalerie. Il décide donc de déployer ses troupes en rase campagne pour y retenir l’ennemi tout en continuant le siège de Rocroi. Il passe le marais et gagne une éminence qui dominait la campagne. Mais le temps lui manque, et il confie le déploiement du corps de bataille au comte Fontaine. Il est probablement entre 16 et 17 heures lorsque que La Ferté-Seneterre qui commande la gauche française, prend une malheureuse initiative : il fait traverser le marais à toute son aile cavalerie et  5 bataillons d’infanterie dans le but de jeter du secours dans Rocroi, sans en avertir le duc d’Enghien. Celui-ci stoppe alors à ses troupes, et fait combler les espaces laissés vides. L’ennemi ne se serait pas aperçu de cette fausse manœuvre. L’armée espagnole  qui progressait alors vers les lignes françaises, s’arrête à 400 pas mais ne semble pas vouloir engager le combat. Il est maintenant 17 heures. Alors que toute l’armée française se déploie, Melo place ses troupes en hauteur. Les deux armées sont à portée de mousquet et l’artillerie espagnole ouvre le feu. Un quart d’heure plus tard, l’artillerie française lui répond. Enfin, entre 18 et 19 heures, le dernier corps français, la réserve du baron de Sirot, débouche et se déploie. Il est probablement 21 heures lorsque la nuit tombe, faisant cesser la canonnade.

La bataille

Gassion commande l’aile droite avec le duc d’Enghien, la Ferté Seneterre l’aile gauche, d’Espenan l’infanterie du centre et Sirot la réserve. L’infanterie d’Espenan se retrouve donc partagée entre les deux ailes, Picardie, La Marine, Persan, les deux bataillons de Molondin, et les bataillons de seconde ligne dans les intervalles font partie de l’aile droite du duc d’Enghien.

La bataille s’engage à quatre heures du matin.  Les deux ailes marchent alors de concert. L’aile droite commandée par le duc se heurte aux mousquetaires tapis dans un repli de terrain à la lisière d’un bois : ils sont entre 500 et 1000 selon les sources. Gassion les met en fuite.

Sur l’autre aile, la cavalerie de l’Hôpital a mal préparé sa charge : la première ligne de cavalerie de La Ferté-Seneterre s’est avancée vers celle d’Issembourg mais, ayant lancé sa charge de trop loin, et malgré quelques succès ponctuels, est fermement ramenée dans ses lignes, son chef blessé et prisonnier. L’infanterie de d’Espenan aurait suivi le mouvement mais fut aussi repoussée. Les Lorrains, poursuivant les Français, tombent sur l’artillerie laissée sans protection, l’infanterie l’ayant probablement traversée pour se porter en avant. De la Barre, en charge de cette artillerie, trouve la mort en défendant ses canons, et sa batterie est prise. Le maréchal de l’Hôpital tente de rallier les fuyards, sans succès. Il se serait alors mis à la tête de la seconde ligne de cavalerie, et aurait repris en main la situation. C’est à ce moment là que le maréchal de l’Hôpital aurait envoyé l’ordre à Sirot de s’avancer avec sa réserve. Celui-ci parvient à repousser la cavalerie ennemie.

C’est sur l’autre aile que va se décider le sort de la bataille. La première ligne de l’aile droite de Gassion aligne la fleur de la cavalerie française. Les régiments Royal et Mestre-de-camp général en forment la tête, c’est à dire l’extrême droite, juste avant les Croates. Le régiment Royal, sous les ordres de François Barton vicomte de Montbas, sera un des héros de la journée. Ce régiment est l’ancien Cardinal-duc, un des douze premiers régiments organisés par le cardinal de Richelieu le 16 mai 1635. Ce 19 mai, Royal est épaulé à sa gauche par le second régiment d’élite de la cavalerie française, celui de Gassion, levé en 1633, qui a pris le titre de Mestre de camp général. Les gardes de Condé et trois régiments de cavalerie (Lenoncourt, Coislin et Sully) complètent cette première ligne, qui compte, avec les Croates de l’extrême gauche, 1 500 chevaux. La seconde ligne est composée de régiments français, liégeois et weimariens qui ont l’habitude de combattre avec le mestre de camp général. Comme à son habitude, Gassion a intercalé entre ses régiments de cavalerie des pelotons de mousquetaires.

Enghien donne l’ordre à Gassion de faire le tour du bois, avec sa première ligne de cavalerie, ce qu’il fait en s’étendant sur sa droite. C’est donc Enghien qui, à la tête de la seconde ligne, va affronter la plus grande partie de la cavalerie espagnole. Mais la manœuvre à effectuer est compliquée : les escadrons de seconde ligne doivent pendre la place de la première ligne entre les pelotons de mousquetaires. Puis c’est le choc entre Albuquerque et Enghien, avec un résultat contrasté. Deux ou trois escadrons français et deux pelotons de mousquetaires semblent rompus. Dans leur poursuite, les escadrons espagnols atteignent quelques pièces d’artillerie, les prenant pour un temps. Mais la droite de l’infanterie française est occupée par le régiment de Picardie qui repousse la cavalerie espagnole. Il semble que le futur Grand Condé a choisi de recevoir la cavalerie espagnole avec la moitié de ses escadrons, pour donner le temps à Gassion de la déborder. Et ce sont donc les escadrons de première ligne qui prirent de flanc leurs adversaires flamands, espagnols et italiens. Quelques escadrons du duc d’Albuquerque refluent entre les lignes de l’infanterie, à l’abri derrière les réconfortantes citadelles que forment les tercios, d’autres prennent la fuite. Les escadrons de Gassion chargent alors les bataillons espagnols, wallons et italiens, sans succès. Pendant ce temps, les Croates de Raab contournent la gauche d’Albuquerque, harcelant les escadrons qui se replient ou pillant les camps espagnols.

Pendant que les deux ailes de cavalerie s’affrontent, l’infanterie française s’avance vers la première ligne espagnole. Mais Espenan, inquiet du reflue français sur sa gauche, se contente d’escarmoucher avec la première ligne espagnole.

À l’aile gauche,  Sirot, après avoir réorganisé sa réserve, reçoit une nouvelle charge de la cavalerie allemande. Mais celle-ci, non soutenue par son infanterie, a perdu son entrain. D’autant plus qu’à ce moment là, Issembourg n’est plus avec ses escadrons : il tente de reformer les régiments d’infanterie allemands, les faisant pivoter pour faire face à la cavalerie de Gassion. Prise de flanc par les escadrons de Gassion, l’infanterie wallonne et allemande part en déroute. De leur côté, les trois tercios italiens préfèrent prendre la fuite, se repliant à travers les bois.

Il est 9 heures passé. « Restait cette redoutable infanterie de l’armée d’Espagne » écrira Bossuet. Alors que quelques escadrons de Gassion, ayant chassé les Wallons, les Italiens et les Allemands du champs de bataille aborde les derniers escadrons d’Issembourg, il ne reste plus que l’infanterie espagnole, resserrée en un seul corps auprès du canon. Mais Enghien sait que Beck n’est pas loin, avec 4 000 hommes en renfort. Il va donc lancer plusieurs attaques pour venir à bout de cette muraille de piques. Trois assauts s’enchaînent, avec des succès contrastés. Ces premiers assauts vont venir à bout des deux plus anciens tercios viejos, ceux de Villalba et de Velandia, dont la résistance fut exemplaire. Il ne reste alors que trois tercios, ceux de Garcies, d’Albuquerque et de Castelvi. Leur résistance va être d’autant plus héroïque. Pour en venir à bout, les attaques d’infanterie et de cavalerie sont combinées de tous côtés.  Les escadrons français viendront « 5 ou 6 fois à la décharge » sur l’infanterie espagnole « sans qu’ils la pussent rompre ». Face à cette muraille invulnérable, Enghien propose alors aux Espagnols de se rendre, en échange de sa grâce. Si cette proposition est refusée, il détruira l’escadron espagnol, qui compte alors 3 000 hommes, avec l’artillerie chargée à mitraille. Mais des trois mestres de camp restants, deux répondirent « qu’ils ne se rendaient pas et qu’ils préféraient mourir en se battant ». Les assauts reprennent donc, sans succès. Enghien, toujours inquiet d’une arrivée de Beck, fait alors une seconde offre. Et cette fois-ci, il leur « offre quartier, c’est à dire la vie sauve, et en somme une capitulation comme une place forte. Et ce qu’il leur fut demandé (ce ne pouvait être moins) est qu’abandonnant leurs armes, ils conservaient leurs vies et leurs biens » écrira un historien espagnol du XVIIe siècle. Les mestres de camp du dernier escadron vont accepter, ayant été assuré qu’ils pourront traverser la France pour retourner en Espagne « avec leurs bannières au vent, leur équipage et leurs armes ». Deux mille cinq cents Espagnols traverseront ainsi le pays jusqu’à Fontarabie. Il est probablement 10 heures. Le comte de Fontaine et les mestres de camp des deux plus anciens tercios, Villalba et Velandia, sont morts. Garcies, Castelvi et le sergent-major Peralta ont capitulé. Tout est fini.

Alors, selon Bessé, « le duc d’Enghien, voyant sa victoire entièrement assurée, se met à genoux au milieu du champ de bataille et commande à tous les siens de faire la même chose pour remercier Dieu d’un succès si avantageux. »

 

L’armée espagnole de Francisco de Melo

Aile droite espagnole : Issembourg

Cavalerie allemande : 14 escadrons pour 3000 chevaux (dont le régiment de cuirassiers de Rittburg et probablement les Gardes d’Issembourg, les régiments Savary, Vera et Donquel) soit 210-220 chevaux par escadron.

Première ligne : 6 escadrons lorrains plus un escadron de Croates.

Seconde ligne : 6 escadrons allemands plus un escadron de compagnies franches.

Centre : comte de Fontaine

Première ligne : 5 tercios Espagnols formant un bataillon chacun en première ligne avec deux pièces d’artillerie entre chaque bataillon (tercio du duc d’Albuquerque, tercio de don Antonio de Velandia, tercio du comte de Villalba, tercio du comte de Garcies et tercio sarde de Georges Castelvi), pour un effectif estimé de 5500 h

Seconde ligne : 4 tercios italiens et bourguignon formant chacun un bataillon (Strozzi, Visconti, Delli Ponti  et Philippe de la Baume, comte de Saint-Amour), pour un effectif estimé de 6500 h

Troisième ligne : 5 tercios wallons formant chacun un bataillon (prince de Ligne, Ribaucourt, la Grange, Meghem et Bassigny) pour un effectif estimé de 2500 h

Quatrième ligne : 5 régiments allemands formant chacun un bataillon (Ritberg, Frangipani, Hembise, Guasco et Rouvroy) pour un effectif estimé de 2500 h

L’ensemble de l’infanterie est estimée à 17 000 homme et 18 canons.

Aile gauche espagnole : duc d’Albuquerque

Cavalerie wallonne : 5-6 régiments en 15 escadrons pour 2000 chevaux soit 130-135 chevaux par escadron (régiments non connus, les Gardes d’Albuquerque sont probablement présents).

Première ligne : 8 escadrons wallons.

Seconde ligne : 6 escadrons wallons.

En embuscade dans le bois : 500-1000 mousquetaires.

L’armée espagnole à LM Tercios :

Les 5 tercios espagnols sont Tercios viejos modernised. Les tercios bourguignons et italiens sont tercios modernised. Les 5 tercios wallons et les 5 tercios allemands sont tercios modernised & depleted.

Les 500-1000 mousquetaires seront représentés par 2 compagnies de tireurs (shot companies, musket).

Les escadrons espagnols, allemands et de compagnies franches sont cuirassiers modern cavalry (modern cavalry demi-cuirassiers si vous avez le supplément Kingdom). L’escadron de Croates est light horse, pistol. Passer les gardes d’Issembourg et d’Albuquerque (1 escadron sur chaque aile) en elite.

Représenter l’artillerie par de l’artillerie moyenne (un canon pour 3 pièces réelles par exemple).

 

 

L’armée française du duc d’Enghien

Aile droite : Duc d’Enghien et Gassion

Premier échelon, de droite à gauche (Gassion, 10 escadrons de cavalerie avec 6 manches de mousquetaires commandés) : Gardes d’Enghien, Croates de Raab, Croates de Chack, régiments Royal, Mestre-de-Camp Général, Lenoncourt, Coislin, Sully, 6 unités de 200-300 mousquetaires commandés.

Second échelon, de droite à gauche (Enghien, 5 escadrons) : régiments Roquelaure, Menneville, Sillart, Leschelle et Vamberg.

Au total : autour de 3300 chevaux (220 chevaux par escadron) et 1500 mousquetaires.

Centre : d’Espenan

Première ligne, de droite à gauche (d’Espenan, 8 bataillons) : Picardie, La Marine, Persan, 1er bataillon de Molondin, 2nd bataillon de Molondin, Bourdonné-Biscarras, Rambures et Piémont, 12 canons (pièces de 4 à 8 livres).

Seconde ligne, de droite à gauche (La Vallière, 7 bataillons) : Vervin-La Prée, Vidame, 1er bataillon de Wateville, Gardes Ecossaises, Roll, Brézé-Langeron, et Bussy-Guiche.

Troisième ligne (Sirot, 3 bataillons et 4 escadrons) : 1 bataillon formé de Harcourt, Aubeterre et Gesvres, 2nd bataillon de Wateville, Les Royaux. 4 escadrons de chevau-légers (Charost, 3 companies de Gendarmes, 3 compagnies et Sirot) sont intercalés entre ces 3 bataillons d’infanterie. Les compagnies de gendarmes réunies en deux escadrons sont La Reine, Écossais, de Longueville, d’Angoulême, de Guiche et de Vaubecourt.

Infanterie : 13 000 fantassins pour 18 bataillons et 4 escadrons de cavalerie faisant 800 à 900 chevaux.

Aile Gauche : L’Hôpital

Premier échelon, de droite à gauche (La Ferté, 8 escadrons de cavalerie avec 6 manches de mousquetaires commandés) : régiments La Clavière, Beauvau, La Ferté, Guiche, Fusiliers à cheval, 6 unités de 200-300 mousquetaires commandés.

Second échelon, de droite à gauche (l’Hôpital, 5 escadrons de cavalerie) : régiments Netaf, Coislin, Marolles, Heudicourt et Harcourt.

Au total : autour de 2800 chevaux (220 chevaux par escadron) et 1500 mousquetaires.

L’armée française à LM Tercios :

Les bataillons d’infanterie sont des bataillons réformés (reformed battalion). Les bataillons de Piémont, Picardie, La Marine, Rambures, les Gardes Ecossaises (ancien régiment écossais d’Hepburn, alors au service de la Suède) et les Royaux sont veteran.

Les escadrons de cavalerie sont cuirassiers modern cavalry (modern cavalry demi-cuirassiers si vous avez le supplément Kingdom). L’escadron de Croates est light horse, pistol. Passer les gardes d’Enghien en elite et les escadrons des régiments Royal et Mestre-de-Camp Général en veteran. Les 2 escadrons de gendarmes sont cuirassiers veteran ou modern cavalry gendarmes, si vous avez l’extension Kingdom. L’escadron de Croates est light horse, pistol.

Les compagnies de mousquetaires sont shot company musketeers & commanded shot.  Prendre 6 de ces compagnies (3 sur chaque aile, en première ligne, intercalées avec des escadrons de cavalerie).

Représenter l’artillerie par de l’artillerie moyenne (un canon pour 3 pièces réelles par exemple). Un quart de cette artillerie peut être passée artillerie légère.

Pour les deux armées :

Si vous n’avez pas assez de figurines, n’hésitez pas à diviser tous les effectifs par 2 ou plus.

Déploiement

 

Drapeaux et banderas

Pour les drapeaux français et banderas de tercios, voir l’article sur le sujet ici.

 

Stéphane Thion

Source : Stéphane Thion, La bataille de Rocroi, Editions Histoire & Collections.

L’armée espagnole à la bataille d’Avins (1635)

L’armée espagnole à la bataille d’Avins (1635)

Selon le Mercure Français, l’armée espagnole de Flandre comptait, à la mi-1634, 23 000 hommes de pied et 7 000 chevaux. L’infanterie était composée de quatre régiments d’Espagnols des Maîtres de camp Alonso Ladron, Marquis de Celade, Dom Francisco Capate, et dix compagnies d’Espagnols nouvellement venus d’Espagne, comptés pour un quatrième régiment ; trois régiments d’Italiens des Maîtres de camp duc Doria, marquis Sfondrato, dom Andrea Cantelmo ; sept régiments de Wallons des Maîtres de camp les comtes de Fresin et de Fontaine, le sieur de Ribaucourt, le baron de Wesemal, les sieurs de Triest, de Custrines & de Crequy ; quatre régiments de hauts Allemands des comtes d’Isembourg, de Hoochstrate, du colonel Rouvrois (ou Rouvroy) & du prince de Barbançon ; deux régiments de bas Allemands du marquis de Lede et du colonel Brion ; un régiment d’Anglais du Maître de camp Tresan ; et deux régiments d’Irlandais du comte de Tirconel et de dom Eugenio Onel, qui faisaient en tout vingt- trois régiments. La cavalerie qui était sous la charge du comte de Nassau, était composée de soixante huit compagnies, & des cinq régiments des comtes Buquoy, d’Isembourg, de Salms, du marquis de Celade et du prince Barbançon. En juillet 1634, le marquis d’Aytonne demande au prince Thomas de lever de l’infanterie et de la cavalerie.

Le corps du prince Thomas de Savoie qui va affronter l’armée française ne comptait qu’une partie de ces forces : 10 000 fantassins en 120 enseignes, 3 000 chevaux en 45 cornettes et 16 canons selon Richelieu, 8 000 fantassins et 2 000 chevaux selon Gualdo Priorato. Le comte de Feira en était maître de camp général, le comte de Buquoy y commandait la cavalerie et le comte d’Hoochstrate, l’infanterie. Si on en croit le Mercure Français, les meilleurs régiments ne faisaient pas partie de ce corps puisque, après la bataille, le Cardinal Infant s’était retranché le long du Demer vers Tillemont, avec une armée composée des restes de celle du Prince Thomas, et de ses autres forces où étaient les meilleurs et plus vieux régiments.

La relation du Mercure Français évoque le tercio espagnol d’Alfonso de Ladron de Guevara, le tercio italien de Sfondrato, le régiment anglais de Brons, le régiment allemand d’Hoochstrate et le régiment du prince Thomas. Ce dernier régiment est probablement celui levé fin 1634 et était probablement Lorrain, le Prince ayant été colonel d’un régiment de cette origine lorsqu’il était en Savoie. J.L Sanchez, cité par Pierre Picouet, évoque aussi le régiment wallon de Frezin. Le tercio espagnol d’Alfonso de Ladron de Guevara est un vieux corps puisqu’il s’agit du tercio viejo de los Estados de Brabante.

En 1635, un tercio espagnol compte en pratique rarement plus de 1 500 hommes, même si l’effectif théorique est de 3 000 hommes. Ainsi, la montre de mai 1636 donne 166 officiers et 946 soldats pour le tercio de Ladron de Guevara. La carte de Melchior Tavernier montre 7 escadrons espagnols ce qui donnerait bien 7 à 10 000 hommes pour l’infanterie. Le tercio de Ladron de Guevara et celui de Sfondrato ont peut-être formé 3 ou 4 escadrons à eux deux.

La cavalerie comptait 45 cornettes selon Richelieu, jusqu’à 40 compagnies selon Pontis. En ne comptant ces compagnies qu’à 50 chevaux, cela nous donne un minimum de 2 000 chevaux. Tavernier a représenté 17 gros escadrons sur sa carte, ces escadrons faisant au moins le double de la taille des escadrons français. L’estimation de Richelieu, soit 3 000 chevaux, parait donc tout aussi plausible. Une bonne partie de cette cavalerie était formée par le régiment de Bucquoy. Il s’agissait probablement d’un régiment de cuirassiers à dix compagnies, faisant de 700 à 1 000 chevaux.

L’infanterie espagnole en 1635

L’Espagne dispose, à l’aube de la guerre de Trente ans, d’une infanterie qui inspire le plus grand respect. Bien commandée, solide et disciplinée, cela fait un siècle et demi qu’elle s’impose sur les champs de bataille d’Europe. Sa force principale repose sur les terribles tercios viejos.

Le tercio compte, depuis 1632, 12 compagnies de 250 hommes, ou 15 compagnies de 200 hommes pour un tercio levé en dehors de la péninsule ibérique, soit un effectif théorique de 3 000 hommes par tercio. L’ordonnance de 1632, légèrement modifiée en 1633, ne souhaite pas, sans l’interdire, que les tercios soient à 20 compagnies. En pratique certains auront jusqu’à 26 compagnies. Une compagnie au complet doit compter, selon cette ordonnance, 11 officiers (un capitaine et son page, un alférez, un enseigne ou abanderado, un sergent, deux tambours, un fifre, un fourrier, un barbier et un chapelain) et 239 soldats dont 90 coseletes (piquiers en cuirasse), 89 arquebusiers et 60 mousquetaires. Parmi les soldats, on compte 10 cabos de escuadra, c’est à dire chefs d’escadre ou caporaux. La compagnie de 200 hommes doit compter, pour sa part, 70 coseletes, 90 arquebusiers et 40 mousquetaires. Cette ordonnance prévoit aussi, pour l’état-major des compagnies, un alferez et deux sargentos (sergents) réformés, c’est à dire de remplacement. L’état-major permanent du tercio comprend 8 officiers supplémentaires : le mestre de camp, le sergent major, le capitaine de campagne, le tambour major, l’auditeur militaire, le fourrier principal, le chapelain principal et le chirurgien principal. L’ordonnance de 1632 tente par ailleurs d’endiguer la mauvaise habitude prise par les coseletes de se débarrasser de leurs cuirasses et de raccourcir leurs piques. Elle prévoit cependant que les piquiers moins biens armés ne soient pas placés aux deux premiers rangs. Cette tendance à allègement se retrouve bien sûr chez toutes les nations d’Europe.

Certains tercios sont permanents, ou fixes, comme les régiment entretenus français. Et parmi eux, les plus redoutés sont les tercios viejos. Les principaux tercios fixes de l’armée de terre sont (avec le nom de leur mestre de camp en 1635), les tercio viejo de los Estados de Flandes (Villalobos), ter-cio viejo de los estados de Brabante ( Ladron de Guevara), tercio viejo de los Estados de Holanda (marquis de Celada), tercio fijo de Napoles (Ascoli), tercio fijo de Lombardia (Aragon y Tafalla), tercio fijo de Sicilia (Toledo), tercio de Saboya (Coronado y Mendoza), et la Coronelia de la Guardia del Rey. À ces unités s’ajoutent les tercios de la Marine répartis en Espagne, à Naples et en Sicile.

Les tercios espagnols sont par ailleurs épaulés par l’infanterie des nations, provenant des territoires appartenant à la couronne d’Espagne : Flandre, Bourgogne (qui se limite, à cette époque, à la Franche-Comté), Sicile, Naples et Lombardie (limitée au Milanais). Si l’infanterie italienne et bourguignonne est organisée sur le même pied que l’infanterie espagnole, en tercios de 12 compagnies totalisant 3 000 hommes, les tercios wallons sont organisés comme les tercios espagnols des Flandres, en 15 compagnies de 200 hommes, totalisant aussi 3000 hommes. Mais chaque compagnie compte, sur le papier, 12 officiers, 46 piquiers et 142 mousquetaires. Les régiments allemands ou lorrains au service de l’Espagne comptent pour leur part 10 compagnies de 250 ou 300 hommes.

Bien sûr, il s’agit d’effectifs théoriques, correspondant à un régiment nouvellement levé ou ayant fait recrue. En pratique, les effectifs fondaient rapidement. Ainsi, pour la bataille de Nördlingen, en 1634, le tercio d’Idiaquez compte 1 800 hommes en 26 compagnies et le tercio de Fuenclara, 1 450 hommes en 17 compagnies. Le tercio napolitain de San Sivero compte 1 900 hommes en 24 compagnies, celui de Toralto, 750 hommes en 10 compagnies et celui de Cardenas, 950 hommes en 13 compagnies. Enfin le tercio lombard du prince Doria compte 1 000 hommes en 12 compagnies alors que celui de Lunato en compte 1 300 en 15 compagnies.

 (Aquarelles de K.A. Wilke)

Face à l’ennemi, les tercios se forment en escadrons (escuadrones), équivalent des bataillons français. L’escadron, qui se forme maintenant couramment à partir d’un seul tercio, se déploie dans les années 1630 sur un maximum de 12 rangs, probablement 8 ou 10 comme les bataillons français. Les piquiers forment le bloc du centre alors que les arquebusiers forment les garnisons sur les deux flancs de ce bloc. Des manches (mangas) de mousquetaires viennent alors se déployer sur les ailes de l’escadron, mais peuvent aussi opérer indépendamment. Contrairement à une idée reçue, à partir de 1635, un escadron comptera rarement plus de 1 000 hommes. Sur le terrain, rien ne le distingue donc de son homologue français, hollandais ou allemand.

La cavalerie espagnole en 1635

Si l’infanterie espagnole bénéficie d’une forte réputation, il n’en est pas de même pour la cavalerie. Et de fait, le roi d’Espagne recrutera une grande partie de sa cavalerie en Lombardie, à Naples, en Wallonie, en Franche-Comté, en Lorraine, ou encore en Allemagne. Ainsi, l’armée du Cardinal-Infante qui se dirige vers Nördlingen, en 1634, compte 700 cavaliers napolitains, 590 cavaliers bourguignons et 500 cavaliers lombards pour seulement 230 gardes à cheval espagnols, en deux compagnies.

Il existe alors trois grands types de cavaliers au service du royaume d’Espagne : le lancier (caballo-lanza), le cuirassé (caballo coraza qui a remplacé le reître ou herreruelo) et l’arquebusier à cheval (arcabucero a caballo).

La cavalerie l’espagnole est la dernière à utiliser des lanciers, en Europe, mais ceux-ci ne sont plus qu’en faible nombre, formant principalement des compagnies de Gardes. Ludovic Melzo, dont les Règles militaires pour le gouvernement et le service de la cavalerie furent publiées en 1619, affirmait que la principale utilisation de ces lances consiste à suivre les arquebusiers, lesquels, après avoir délivrer leur charge sur les troupes ennemies de face et par les côtés, les ayant décomposées et mises en confusion, seront suivies par la charge des lances par le côté ou de face en fonction de l’occasion ou de l’opportunité qui se présente. Mais il soulignait déjà qu’il fallait quatre conditions pour bien utiliser des lanciers : un terrain favorable, un cheval de qualité, un cavalier bien entraîné et une formation de combat adaptée, c’est à dire de petites troupes d’une trentaine de lances. Enfin, l’auteur espagnol liste l’équipement théorique du lancier : la cuirasse (plastron et dossière) à l’épreuve des balles, les cuissards (quixotes), les garde-reins, les brassards, la salade (celada, un casque à visière) et un gantelet à l’allemande à la main gauche. La lance du capitaine devra porter sa banderole de manière bien voyante. Les soldats peuvent remplacer les cuissards par des tassettes, plus pratiques pour le travail de la lance. Ils devront porter un pistolet d’un côté de l’arçon et la salade ou bourguignotte de l’autre.

(Aquarelles de K.A. Wilke)

Les caballos corazas sont, en cette première moitié du XVIIe siècle, similaires aux chevaux légers français. Ils forment à cet égard la plus grande part de la cavalerie espagnole. Melzo décrit ainsi leur équipement : les soldats des cuirasses doivent être armés d’un plastron et d’une dossière à l’épreuve du pistolet, et des autres armes que portent les soldats des lances, et de plus ils doivent porter des cuissards (quixotes). Ils doivent porter des pistolets d’arçon, et derrière, à droite, ils attachent d’ordinaire la salade (celada). Comme pour la cavalerie française, sous l’influence des Suédois et des Hongrois, cet équipement va progressivement s’alléger, à partir des années 1634-36, pour ne garder que la demi-armure et un casque de type bourguignotte ou capeline.

L’arquebusier à cheval est l’équivalent du carabin français. Melzo affirme que les arquebusiers à cheval furent inventés par les français, lors des dernières guerres du Piémont qui les appelèrent dragons, nom qu’ils gardent encore. Ayant appris l’avantage et l’utilité de cette nouvelle sorte de soldatesque, les Espagnols commencèrent aussi à les utiliser au sein de leur armée. Et lorsque le duc d’Albe passa dans les Flandres, il amena avec lui quelques une de ces compagnies. Elles servirent d’abord à pied, puis elles servirent à cheval, avez des arquebuses à rouet, et elles continuèrent à servir ainsi. Quand à son équipement, il écrit qu’il serait convenable d’armer les arquebusiers à cheval d’un plastron et d’une dossière (cuirasse), mais cela reste à prouver ; parce que embarrassés de ces armes, ils ne peuvent servir en les oc- casions où il est nécessaire de mettre pied à terre. (…) En aucun cas ils ne doivent mettre des cuissards, ni des garde-reins, parce qu’ils sont excessivement embarrassants lorsqu’il faut mettre pied à terre. Ils doivent porter une arquebuse légère… Les soldats devront porter un mousquet à rouet, de onze livres et demi de balle, le canon long de quatre palmes, qu’ils devront porter du côté droit avec la bandoulière ; et y ajouter un morion de même qualité et forme que celui du capitaine.

Dragons espagnols (Aquarelle de Wilke)

Enfin, les généraux possèdent fréquemment deux compagnies de gardes, une de lanciers et une autre d’arquebusiers à cheval. Les deux compagnies de gardes du Cardinal-Infante seront ainsi présentes à la bataille de Nördlingen. Melzo les évoquait déjà dans son traité, vers 1615.

La cavalerie espagnole est organisée en compagnies de théoriquement 100 chevaux. Chaque compagnie, commandée par un capitaine, doit aussi comprendre deux trompettes, un maréchal des logis, un fourrier, un chapelain, un armurier et un barbier. Melzo précise que les cuirassiers devront toujours se déplacer au trot, pour ne pas se désunir, et qu’ils devront être ordonnés en gros escadrons de 200 à 400 chevaux. Plus l’escadron sera renforcé, mieux ce sera, et la rencontre plus galante, et on pourra en attendre le meilleur effet, ajoute t-il.

L’Artillerie

Depuis 1609, selon Diego Ufano Velasco, l’artillerie espagnole n’utilise plus, théoriquement, que quatre calibres : le canon tirant 40 livres de balles, le demi-canon tirant 24 livres de balles, le quart de canon tirant 10 livres de balles et le quint de canon – ou octave et auquel on peut substituer la quart de couleuvrine – tirant 5 livres de bal- les. Seuls les deux derniers sont utilisés en campagne, les deux premiers étant réservés aux sièges.

Le déploiement de l’armée

Selon Brancaccio, une armée espagnole des années 1620 dispose sa cavalerie de chaque côté de l’infanterie, les troupes d’arquebusiers à l’extérieur, et les troupes de cuirassiers entre l’infanterie et les arquebusiers à cheval. Une troupe de près de 200 cuirassiers sera placée en avant, suivie de deux troupes de 300 cuirassiers de chaque côté et à 60 pas derrière, suivies de trois autres troupes à 60 pas derrière, dans les intervalles, puis enfin, un dernier échelon de deux troupes à 60 pas derrière, dans les intervalles. Au centre, l’infanterie est aussi disposée en échiquier, chaque escadron à 200 pas l’un de l’autre, pour laisser au second échelon la place de passer dans les intervalles. Le second échelon se positionne 20 pas derrière leur premier et les manches de mousquetaires et arquebusiers se dispo- sent entre les troupes de cavalerie et entre les escadrons d’infanterie.

Une relation du voyage du Cardinal- Infante en 1633-34, nous précise le déploiement réel d’une l’armée espagnole : début septembre 1634, peu avant la bataille de Nördlingen, toute l’infanterie se mit en escadrons, chaque tercio à côté l’un de l’autre, ainsi bien fixés, occupant un front de plus d’un quart de grande lieue (soit 1,5 kilomètre), ils étaient neuf tercios en tout, deux d’Espagnols, quatre de Napolitains, trois de Lombards et deux régiments d’Allemands. Chaque tercio constituait alors un escadron occupant un front de près de 170 mètres.

À Avins, le prince Thomas déploiera son infanterie sur deux lignes, les sept escadrons d’infanterie disposés en échiquiers. La cavalerie, dans un premier temps placée en un rideau pour masquer les lignes espagnoles, sera ensuite déployée sur les ailes et en seconde ligne.

Drapeaux espagnols (Aquarelle de K.A. Wilke)

Stéphane Thion

 

La cavalerie à l’aube du XVIIe siècle

La cavalerie à l’aube du XVIIe siècle

Lance contre pistolet

Depuis le début des guerres de religion, les folles charges de cavalerie ont marqué les esprits. Dreux, Saint-Denis, Moncontour, La Roche l’Abeille, Coutras… autant de champs de bataille dont la terre raisonne encore du galop des chevaux. Mais en cette fin de siècle, la question de l’armement du cavalier lourd est sujet à débat.

A l’aube du XVIIe siècle, pour la majorité des théoriciens militaires (Basta, Walhausen, Melzo) il n’existe plus que trois catégories de cavaliers : les lanciers, les cuirassiers (qui englobe les reîtres allemands, les herreruelos espagnols et les chevaux légers huguenots) et les arquebusiers à cheval ou carabins. Walhausen y ajoute les dragons. Alors que l’arquebusier à cheval et le carabin sont des cavaliers qui démontent, le dragon apparaît tout d’abord comme une infanterie montée. Mendoza, qui écrit quelques années auparavant, puis Montgommery et Billon utilisent pour leur part une autre classification : plutôt que de distinguer les cavaliers par leur armement, ils le font par leur façon de combattre : gendarmes (hombres de armas), chevaux légers (cavalleria ligera) et arquebusiers à cheval ou carabins (arcabuzeros a cavallo), Mendoza évoquant encore les reîtres (herreruelos). La raison en est simple : avec l’avènement d’Henri IV, la lance a été abandonnée par la noblesse française. Gendarmes et chevaux-légers utilisent maintenant le même armement, les seconds plus légèrement armés et protégés, alors que les arquebusiers à cheval et carabins sont pour leur part armés d’une arquebuse. Mais en Espagne, le débat sur l’intérêt de la lance fait rage.

Bernardin de Mendoza, dans sa Théorie pratique de la guerre, écrite en 1596, affirme que les lances sont plus efficaces que les reîtres ou herreruelos. Les escadrons de lances n’ont pas besoin d’être plus nombreux que 100 ou 120 au plus, alors qu’il faut 400 ou 500 herreruelos dans un escadron. Les succès des chevaux légers huguenots des guerres de religion, armés de pistolets, et des cuirassiers de Nassau ne feront pas changer d’avis les principaux théoriciens militaires du début du XVIIe. Comme le dit George Basta, comte du Saint-Empire Romain germanique et gouverneur Général de Hongrie et Transylvanie sous Rodolphe II, l’introduction des cuirasses en la France, avec un total bannissement des lances a donné l’occasion de discourir quelle armure serait la  meilleure. Lui aussi était convaincu du pouvoir de la lance : la lance inventée pour percer & diviser un escadron, demande vélocité & force pour le choc. Mais il ajoute que, pour obtenir l’impact escompté, l’utilisation de la lance nécessite quatre conditions : un bon cheval, un terrain plat, un cavalier parfaitement entraîné à son maniement et enfin, qu’elle soit répartie en petits, & non pas en gros escadrons, qu’il nomme escadronceaux, les établissant à vingt & cinq ou trente chevaux. La même année, Jean-Jacques Walhausen consacre le premier chapitre de son ouvrage « De l’instruction et gouvernement de la cavalerie» au lancier. Son opinion rejoint celle de Basta, et il propose que les lanciers soient réunis en petites compagnies de 40 à 60 chevaux, et celle de l’Espagnol Ludovic Melzo, qui écrit en 1619 un ouvrage sur le service de la cavalerie. Enfin, tous ces auteurs se rejoignent lorsqu’ils affirment que le cuirassé est plus facile à recruter et à former que le lancier.

L’historien Davila illustre bien ces débats lorsqu’il relate les combats de cavalerie prenant place devant Amiens en 1597 : durant les différentes escarmouches qu’on livra continuellement dans la plaine, plusieurs remarquèrent que quand le combat se passait entre cuirassiers ou carabins de part et d’autre, l’avantage demeurait pour l’ordinaire aux Français, mais que lorsque les gendarmes flamands ou franc-comtois entraient en lice, la cavalerie française ne pouvait soutenir le choc de leurs lances. Pour obvier à cet inconvénient qui causait beaucoup de perte et de chagrin à la noblesse, le Roi s’avança à la tête de ses escadrons, ordonnant de ne point se serrer en escarmouchant, mais de laisser beaucoup de vide entre eux. On en fit l’essai plusieurs fois, et l’on vit que le choc des lances ne rencontrant rien de solide, demeurait presqu’entièrement inutile. Cette manœuvre produisit un grand avantage, tant parce qu’on escarmouchait par pelotons dans une vaste plaine, où il était aisé de s’étendre, que parce que les lances des Espagnols étaient en très-petit nombre, en comparaison de la cavalerie française.

La cavalerie hollandaise va suivre l’exemple français en abandonnant la lance au cours des années quatre-vingt-dix. En 1591, à Knodsenbourg, le prince Maurice de Nassau dispose de quatre cornettes de lanciers et deux cornettes de carabins alors qu’en 1597, la cavalerie hollandaise n’est plus composée que de cuirassiers : à la bataille de Tielsche-Heyd, près de Turnhout, en 1597, la cavalerie portant des grandes pistoles avait l’avant-garde, et était divisée en six troupes (Les lauriers de Nassau, par Jean Orlers et Henry de Haestens, 1612). À Nieuport, en 1600, la cavalerie est uniquement formée de cornettes de cuirassiers, accompagnées de quelques-unes de carabins alors que les Espagnols possèdent plusieurs cornettes de lanciers. L’armée du Cardinal Albert qui se porte au secours de la ville d’Amiens, en 1597, compte ainsi 1 500 lanciers, soit la moitié de la cavalerie espagnole. Les Espagnols seront les derniers à aligner des escadrons de lances, ne les abandonnant que vers 1633.

 

Officier et lancier espagnols vers 1620-1630 (Aquarelle de K.A. Wilke)

Gendarmes, chevaux légers et carabins

Il existe encore, en France, comme en Espagne ou en Savoie, des compagnies de gendarmes. Mais il ne s’agit plus des anciennes compagnies d’ordonnance, qui disparaissent dans les années 1590. Au début du XVIIe siècle, selon Du Praissac, les compagnies de gendarmes ou d’hommes d’armes, sont divisées en compagnies de cent hommes d’armes, au moins celles du Roy, des Princes, du Connétable & des Maréchaux de France, les autres ne sont pas si fortes. Louis de Montgommery nous décrit des compagnies de gendarmerie plus fortes sous Henri IV (vers 1603) : nous laisserons les compagnies de gendarmes complètes de 200 maîtres pour les princes, officiers de la couronne et gouverneurs de provinces ; et les autres de 100 pour les seigneurs, et ceux auxquels il plaira au roi d’entretenir, effectif confirmé par l’ordonnance du 29 avril 1611. Et il décrit en détail leur équipement : leurs armes seront complètes, et useront de grèves et genouillères, dedans ou dessus la botte ; la cuirasse à l’épreuve de l’arquebuse devant et derrière ; ils porteront au lieu de la lance une escopette de celles que l’on fait maintenant, lesquelles tirent à 500 pas, car elles ne sont guère plus longues ni plus empêchantes que les pistolets de l’autre côté de l’arçon, ils y mettront un pistolet chargé d’un carreau d’acier, d’une flèche acérée.  (…) Pour l’ordre de combattre, chaque brigade (une compagnie se décompose en quatre brigades) se mettra cinq à cinq, qui fera pour la compagnie de 200 hommes d’armes 20 de front et 10 rangs, au troisième rang le guidon, et l’enseigne au cinquième. (…) Pour entrer au combat, ils doivent allé au pas, jusqu’à 100 pas de l’ennemi, puis au trot jusqu’à 25 ou 30, cela se juge à l’oeil, gardant toujours soigneusement leurs rangs, l’escopette sur la cuisse et le pistolet avec le chien couché dans le fourreau : lors les trompettes sonneront la charge, et les enfants perdus feront leur salut (feront feu), et eux tenant à demi bride, tireront leurs escopettes, les appuieras sur le poing de la bride au moins des premiers rangs, et lors chargeront à toute bride le pistolet à la main lequel ils ne tireront point qu’appuyé dans le ventre de l’adversaire, au dessous du bord de la cuirasse dans la première ou seconde lame de la tassette (s’il est possible).

Concernant les chevaux légers, Montgommery les décrit comme des gendarmes plus légèrement armés : quant aux chevaux légers, les troupes seront toutes de 100 maîtres, feront 3 quadrilles, et en useront comme nous avons dit des gendarmes ; ils s’armeront d’armes complètes, ayant une cuirasse à preuve et le reste léger ; ils auront un pistolet à l’arçon sous la main de la bride, et à l’autre leur salade ou habillement de tête. Leur apparence ne se modifie guère entre les années 1590 et 1620 comme nous le montre cette description des chevaux légers du Roi en 1614 : suivaient les chevaux légers de la compagnie (du Roy), armés & cuirassés le casque en tête, les guidons en main, avec les écharpes & livrées de sa Majesté.

Mais si Montgommery prescrit que la cavalerie combatte sur 10 rangs, le sieur Du Praissac, qui écrit dix ans plus tard et est plus imprégné des théories de Maurice de Nassau,  préconise que des compagnies de 108 chevaux se déploient sur 6 rangs.

Montgommery donne la paternité des carabins aux Espagnols et les décrit ainsi : les carabins sont institués pour entamer le combat, pour suivre la victoire, pour les retraites, et pour les escarmouches : ils sont nommés carabins par les Espagnols qui en ont été les auteurs. Melzo affirme pour sa part que les arquebusiers à cheval furent inventés par les Français, lors des dernières guerres du Piémont qui les appelèrent dragons, nom qu’ils gardent encore. (…) Les Arquebusiers à cheval sont de grand profit si on les emploie avec raison : parce qu’ils sont bien utiles pour les gardes des quartiers, pour les escortes (surtout lorsqu’on escorte des voitures) pour battre l’estrade et pour aller prendre langue. Il décrit plus loin les carabins et la manière de combattre qu’ils doivent adopter : leurs armes doivent être, une cuirasse échancrée à l’épaule droite, afin de mieux coucher en joue, un gantelet à coude pour la main de la bride, un cabasset en tête, et pour armes offensives une longue escopette de 3 pieds et demi pour le moins ; les plus longues se porteront mieux en écharpe. Il doit porter aussi un pistolet comme les autres. Les carabins doivent être prompts à recharger, et pour cet effet porter des cartouches à la reître, et quantité de poudre et de plomb sur eux, chacun un bon cheval et vif, mais non pas des petits bidets. Pour leur manière de combattre étant dans l’ordre que j’ai dit ci-devant, seront 15 de front et 7 à 8 rangs ; les 2 quadrilles de carabins à main gauche, trois à trois, celle du maréchal des logis s’avancera la première conduise par son caporal, lequel aura une longue arquebuse au poing. Jérémie de Billon nous dit, vers 1610, que la compagnie de carabins serait de soixante hommes (…). Ils auraient la cuirasse à l’épreuve et un pot ou salade sans autres armes défensives. Et pour armes offensives, une grosse arquebuse à rouet de trois pieds ou un peu plus, ayant fort gros calibre, et l’épée au côté, et un pistolet court, c’est comme le roi les a lui-même institué.

Ces carabins, armés, selon Davila, pour la plupart de plastrons & de casques, & montés sur de petits chevaux vifs & exercés à toutes les évolutions, sont redoutés de l’ennemi.

Gendarme/Cuirassier vers 1630 (Aquarelle de K.A. Wilke)

 

De la compagnie au régiment de cavalerie

Au début du XVIIe siècle, les impériaux lèvent déjà des régiments de cavalerie comptant de 5 à 10 compagnies de 100 chevaux. Beaucoup de ces régiments  joignent compagnies de cuirassiers et d’arquebusiers. Ainsi les trois régiments wallons, de 500 chevaux chacun, envoyés au Palatinat en 1620, comptent 3 compagnies de cuirassiers et 2 compagnies d’arquebusiers chacun. Cette même année, plusieurs régiments de la Ligue catholique comptent 600 cuirassiers et 400 arquebusiers. Une compagnie comprend le plus souvent un capitaine (Rittmeister), un lieutenant, un cornette, un fourrier, 3 caporaux, 3 trompettes, un maréchal-ferrant, parfois un secrétaire (mustershreiber), un armurier (plattner), un maréchal des logis, un quartier-maître et un prévôt. Walhausen propose que les compagnies de cuirasses soient de 100 hommes pour le moins, les compagnies d’arquebusiers, qu’il appelle aussi carabins ou bandeliers à cheval, de 50 à 60 chevaux et les compagnies de dragons de 200 hommes.

La cavalerie danoise du roi Christian IV, qui combat pour la cause protestante de 1625 à 1629, est aussi organisée en régiments. Chaque régiment compte 6 compagnies de 106 chevaux. Une compagnie se divise en quatre troupes, trois de 27 cuirassiers et une de 25 arquebusiers.

La seule unité permanente, en France, en Hollande et en Espagne, reste la compagnie franche d’une centaine de chevaux. Louis de Montgommery propose, à l’aube du XVIIe siècle, que chaque compagnie de chevaux légers ait une troupe de 50 carabins avec elle, en deux quadrilles de 25, sous la charge d’un lieutenant.  Mais, en 1621, les troupes de carabins seront séparées des compagnies de chevaux légers, et formeront un corps particulier sous un mestre de camp des carabins, Arnaud de Corbeville. Et il faudra attendre 1635 pour voir en France la première tentative de formation en régiments, que ce soit de carabins ou de chevaux légers. Hollandais et Espagnols font aussi combattre leurs compagnies d’arquebusiers à cheval de concert avec les cuirassiers. Ainsi, à Nieuport, le comte Louis-Günther de Nassau commande à 3 compagnies d’arquebusiers de s’avancer et faire leur décharge alors qu’il les suit de près avec 5 ou 6 compagnies de cuirassiers.

Quand à la manière de faire combattre, le cavalerie combat en escadrons de 200 à 700 chevaux sur une dizaine de rangs de profondeur. Certains généraux privilégient de gros escadrons, d’autres, comme le prescrit Montgommery, de petits escadrons, plus faciles à commander. C’est effectivement ce que fit Henri IV à Ivry, selon Palma de Cayet : le Roy, qui avait expérimenté en d’autres batailles et combats qu’il était plus avantageux de faire combattre la cavalerie en escadron qu’en haye. Le Roi juge donc, selon Davila, à propos de partager sa cavalerie en plusieurs escadrons, pour affaiblir le choc des lances, & afin que dès qu’elles auraient chargé, deux ou trois escadrons moins gros pussent les attaquer de toutes parts, & ne pas exposer toute sa cavalerie à essuyer de front la violence de leur première charge. Chacun de ces escadrons comptent 250 à 400 chevaux, à l’exception du sien qui en fait 600. Espagnols et Hollandais forment aussi des escadrons de 200 à 400 chevaux en regroupant 2 à 4 compagnies. Les Espagnols les appellent trozos, les Hollandais, troupes.

Au début de la guerre de Trente ans, les escadrons comptent en moyenne 400 chevaux, que ce soient ceux de Tilly ou ceux des protestants. Les catholiques forment leurs escadrons sur 10 rangs alors que les protestants adoptent des formations moins profondes, sur 6 rangs. Ces formations étaient bien adaptées à la tactique de la caracole, privilégiant le feu à la charge épée en main. Chaque rang de cavalier avance alors à 30 ou 50 pas de l’ennemi, fait feu puis se retire à l’arrière de l’escadron pour recharger. La caracole en «limaçon» est similaire, à la différence que le tir se fait par file : la file de gauche s’avance, tourne sur sa droite de façon à présenter son flanc gauche à l’ennemi, fait feu, fait le tour de l’escadron et vient se replacer à sa position d’origine pour recharger.

L’allègement de la cavalerie lui permet par ailleurs de démonter, comme c’était le cas durant la guerre de cent ans. Montgommery termine ainsi son ouvrage par les mots suivants : toutefois la cavalerie généreuse, pleine de noblesse, comme la nôtre, peut en partie intervenir à ces défauts, car elle est si volontaire & prompte au service de son Roy, & encline à l’honneur, que volontiers une partie, voire tous mettront pied à terre pour quelque grand effet, chose que nous avons vu souvent exercer durant nos dernières guerres civiles. Car quand nous mettrons dans chaque régiment français 200 gentilshommes & 100 carabins à pied, la pique à la main, & le pistolet en écharpe, il n’y a bataillon d’Espagnols ni même de Wallons, lesquels je crois être des meilleurs fantassins du monde qui n’en fut sauvé, témoin le convoi de Lan. Cet épisode est décrit en détail par Sully dans ses mémoires. Il s’agit de l’attaque, par le maréchal de Biron, d’un convoi espagnol défendu par 100 chevaux et 1 600 à 1 800 fantassins espagnols, wallons et allemands : le combat tirant en longueur, Biron ordonna donc pour dernière ressource, que les 100 gentilshommes missent pied à terre, qu’ils joignissent à leurs armes, qui étaient l’épée et le pistolet, la pique (il en avait fait apporter en quantité), et qu’ils remmenassent à la charge nos gens de pied français et suisses, qui n’avaient encore pu entamer les Espagnols. Les Espagnols cédèrent enfin et se sauvèrent dans les bois et sous les chariots, après avoir jeté leurs armes. Cette pratique n’est pas propre à la cavalerie française puisque Tilly, qui combat alors, en 1600, en Hongrie sous le comte de Mercoeur, fait aussi démonter ses cuirassiers au moins en une occasion, pour repousser une bande de 3 000 Tartares.

Stéphane Thion

Les formations d’infanterie à l’aube du XVIIe siècle

Les formations d’infanterie à l’aube du XVIIe siècle

À l’aube du XVIIe siècle, l’infanterie va se transformer. Les formations profondes espagnoles, suisses et allemandes, carré d’hommes ou carré de terrains, vont progressivement s’affiner.

L’infanterie de toutes les nations est maintenant organisée en régiments. Imitant le tercio espagnol, composé de 12 compagnies de 250 hommes, le régiment d’infanterie impérial est organisé en régiments de 10 compagnies de 250 ou 300 hommes soit, théoriquement, 2 500 ou 3 000 hommes. Le régiment wallon et bourguignon est aussi à 3 000 hommes, en 15 compagnies de 200 hommes. Ce sont ainsi 6 000 Wallons, en deux régiments, celui de Bucquoy et celui de Miraumont, que le Roi d’Espagne envoie à l’Empereur pour renforcer son armée, en 1619. Les régiments protestants des premières années de la guerre de Trente ans étaient de taille comparable, comptant 2 à 3 000 hommes. J.J. Walhausen, qui écrit son Art militaire pour l’infanterie vers 1606-1615, évoque, en parlant de la Haute-Allemagne, des régiments de 3 000 hommes à dix compagnies de 300 hommes, chaque compagnie comptant 150 mousquetaires et 120 piquiers plus l’encadrement : un capitaine, un lieutenant, un porte-enseigne, trois sergents, un capitaine des armes, un caporal des appointés, trois caporaux, trois lanspessades, les appointés, trois ou quatre tambours, un chirurgien et un prévôt.  Les vieux régiments français, comme on le verra plus loin, comptent plutôt 2 000 hommes en 20 compagnies de 100 hommes.

Pour combattre, l’infanterie se forme en bataillons ou escadrons. L’infanterie espagnole du Cardinal Albert, qui se porte au secours d’Amiens en 1597, compte quatre bataillons faisant de l’ordre de 4 000 hommes chacun, plus différentes manches d’arquebusiers : l’avant-garde était un bataillon carré, deux autres bataillons carrés formaient le centre, (…) et un corps d’infanterie d’élite fermait la marche, alors que 500 arquebusiers sont distribués dans les intervalles des charrettes. En pratique, un tercio de 3 000 hommes, composé de 1 324 corselets (coseletes en espagnol), 1 526 arquebusiers et 150 mousquetaires, se forme en un seul escadron, les corselets en formant le corps, disposés en 36 files de 36 hommes. Arquebusiers et mousquetaires forment alors les garnisons,  une à chaque angle du carré de piquiers. Martin Eguiluz, qui écrit en 1595, propose encore d’énormes escadrons de plus de 10 000 hommes et Lelio Brancacio qui écrit 30 à 40 ans plus tard, préconise de gros escadrons carré d’hommes, composés d’un ou plusieurs tercios. Un escadron composé d’un tercio complet sera de 2 500 hommes (1 000 piquiers, 1 050 arquebusiers et 450 mousquetaires), plusieurs tercios pourront composer un gros escadrons de plus de 6.000 hommes. Mais dès 1600, les escadrons espagnols, manches comprises, comptent moins de 2 000 hommes : 1 500 à 1 800 hommes pour chacun des quatre tercios aligné à la bataille de Nieuport, chaque tercio formant un escadron, et 1 300 hommes pour les escadrons alignés à Fleurus, en août 1622. Un mois plus tard, Gonzalvo de Cordova présentera son infanterie à l’Infante en 5 escadrons de 1 000 hommes

Durant la guerre de Trente ans, le bataillon impérial ou de la Ligue catholique dépasse rarement les 2 000 hommes : à la Montagne Blanche, cinq bataillons comptent 1 250 à 1 700 hommes, quatre font 2 000 à 2 500 hommes alors que les Wallons, vétérans des Flandres, forment un bataillon de 3 000 hommes. Le comte de Tilly est un adepte de l’escadron espagnol avec garnisons de mousquetaires. À la bataille de la Montagne Blanche, il dispose son aile droite, commandée par Bucquoy, en cinq gros d’infanterie avec leurs mousquetaires, aux pelotons des quatre coins et aux deux manches et les piquiers au milieu. Les quatre en forme carrée de pareille distance et le cinquième au milieu (Mémoires de Du  Cornet). Alors que les bataillons impériaux et liguistes se forment sur 20 à 30 rangs, en bataillon doublé, de façon à obtenir un bataillon deux fois plus large que profond, les bohémiens et les protestants scindent leurs régiments en bataillon de 800 à 1 000 hommes sur 10 rangs.

Selon le sieur du Praissac, ordinairement on fait cinq sortes de bataillons, à savoir carrés d’hommes, carrés de terrain, doublés – quand le front est au fond selon quelque proportion donnée, et de grand front. L’espace que quelque soldat occupe, marchant en bataille, est de 3 pieds en front, et 7 en fonds. (…) Les bataillons carrés d’hommes ou de terrain, sont faibles de front, et ceux de grand front sont fort faibles de fonds. Les Espagnols se servent le plus souvent des bataillons doublés, et les Hollandais de longs, car ils ne font leurs files que de 10 hommes. Walhausen propose de faire, avec un régiment de 3 000 hommes, de 3 à 12 escadrons, les formant en 50 files de 5 hommes, soit 250 hommes, ou en 100 files de 10 hommes, soit 1 000 hommes. Il s’inspire ainsi de Maurice de Nassau, qui scinde, à Nieuport, ses 9 régiments en 16 bataillons de 600 à 650 hommes chacun. Dans ses Principes de l’Art Militaire, Henry Hexham décrit le bataillon hollandais en files égales de 10 hommes. Pour lui, la meilleure façon de former une division est de réunir 500 piquiers et mousquetaires et d’en faire 25 files de chaque. Au début de la guerre de Trente Ans, de nombreux princes protestants s’inspireront de l’école hollandaise. Ainsi, l’armée du Margrave de Bade, qui affronte Tilly à Wimpfen les 5 et 6 mai 1622, est bien encadrée et bien entraînée, ses régiments organisés en 10 compagnies de 200 hommes. Chaque régiment est déployé en un bataillon de 1 400 hommes, le reliquat formant les enfants perdus, de 140 files sur 10 rangs, moitié mousquetaires, moitié piquiers. Les armées de Mansfeld et de Christian de Bunswick semblent être organisées en régiments d’une dizaine de compagnies de 200 hommes, effectif théorique bien sûr, combattant en bataillons de 1 000 hommes sur 10 rangs. L’infanterie danoise du roi Christian, qui combat de 1625 à 1629, s’inspire aussi de ce modèle, formant ses régiments à 12 compagnies de 200 hommes, en deux bataillons de 1 200 hommes, avec une proportion de deux mousquets pour une pique.

L’infanterie française, influencée par les pratiques des protestants, privilégie les bataillons faisant moins d’un millier d’hommes sur 10 rangs. Dès la bataille d’Ivry, Henri IV fait former de petits bataillons de 500 arquebusiers pour encadrer ses escadrons de cavalerie. Dans son sillage, Jérémie de Billon préconise, vers 1610, des bataillons de 500 hommes, disposés en 50 files sur 10 rangs, soit 300 piquiers flanqués de dix files de 10 mousquetaires de chaque côté. En cas de besoin, deux bataillons peuvent se réunir en un gros bataillon de 1 000 hommes. Mais cet auteur innove un peu plus en proposant de les déployer en brigades de trois bataillons : il y en aura deux en face qui ne sembleront n’être qu’un corps et un autre derrière ces deux là ; ou alors, on mettra un bataillon seul en front et deux autres derrière, et quand on en viendra aux mains avec l’ennemi, ils partiront et iront charger de flanc. Le sieur du Praissac, qui écrit à la même époque (vers 1610-1612), propose aussi de scinder les régiments en petits bataillons de 690 hommes comptant chacun cinq compagnies, moitié piquiers et moitié mousquetaires. Le maréchal de Créquy s’inspire sans doute des recommandations de ces deux auteurs, lorsqu’en 1620, au combat de Pont-de-Cé, il forme chacun de ses trois régiments (dix compagnies des Gardes-Françaises, Picardie et Champagne) en cinq bataillons de deux compagnies : cas régiments ayant détaché 100 à 150 enfants perdus, chaque bataillon ne compte guère plus de 300 hommes. Fin 1628, le régiment d’Estissac, qui compte alors 1 400 hommes, défile devant le Roi en deux bataillons.

La proportion de mousquetaires ou arquebusiers et de piquiers va rapidement passer d’une majorité de piques vers 1600 à deux tiers d’armes à feu dans les années 1620. En 1600, une compagnie wallonne de 200 hommes compte déjà 50 piquiers, 50 mousquetaires et 100 arquebusiers. En France, la proportion de piques, qui était de l’ordre de 7 piques pour 3 mousquets dans les vieux régiments, va diminuer à partir de 1610.  À cette époque, Jérémie de Billon rapporte que quelques étrangers observaient qu’ayant de vieux soldats, les deux tiers étaient piquiers et l’autre tiers mousquetaires. Et si c’étaient nouveaux soldats, les deux tiers étaient mousquetaires et l’autre tiers était piquiers. Dans le même temps, Du Praissac affirme que la force de l’infanterie à la campagne est la pique, & aux forteresses est la mousqueterie : afin donc de subvenir à l’un & à l’autre, la compagnie sera composée moitié piques, moitié  mousquetaires.

Vers 1615, une compagnie suisse de 300 hommes comptait 40 mousquetaires, 15 arquebusiers et 245 piquiers (dont 50 corselets). En 1624, une compagnie suisse de 200 hommes ne compte plus que 125 piques (dont 60 corselets) pour 60 mousquets, 15 arquebuses et 3 officiers, soit un peu plus de 60% de piques. Les compagnies françaises passeront à 40 piques pour 60 mousquets vers 1630.

Selon Montgommery, tout soldat piquier doit se styler et exercer à manier dextrement une pique, laquelle doit être de dix-huit pieds. Il la portera couchée sur l’épaule, la main contre le brassal, le bout regardant le jarret de celui  qui marche devant lui, et le faire trois pieds plus haut que la tête de celui de derrière ; il faut en marchand prendre la cadence du tambour, avec le plus de grâce, et de gravité, qu’il sera possible, car la pique est une arme honorable, et qui mérite d’être portée avec geste brave et audacieux : l’espagnol l’appelle reine des armes.

Les arquebusiers et mousquetaires servent comme manches d’un bataillon, sur les flancs et le front des piquiers, mais aussi comme enfants perdus, écran de tirailleur qui se déploie sur le front de l’armée. L’arquebuse se fait de plus en plus rare dans les années 1620. En France, elle disparaît complètement en 1627, pendant le blocus de la Rochelle.

Stéphane Thion

 

Infanterie de l’Union Protestante vers 1620 (Aquarelle de K.A. Wilke)