La bataille des Dunes (1658)

La bataille des Dunes (1658)

La bataille des Dunes, 14 juin 1658

(Article de S. Thion paru dans feu la revue « Histoires de France »).

Turenne à la bataille des Dunes, par Charles-Philippe Larivière (1837)

Le traité de Westphalie, signé le 24 octobre 1648, met fin à la guerre de Trente Ans mais pas au conflit opposant la France à l’Espagne. Il faudra encore onze années de guerre avant que le traité des Pyrénées y mette un terme.

En mars 1657 Cromwell, le « protecteur de l’Angleterre », avait promis de fournir 6 000 hommes au roi de France dans le but d’assiéger Dunkerque ou Gravelines. En échange, Mazarin promettait de lui livrer Dunkerque. Au mois de mai de cette même année, Turenne tente de surprendre Cambrai. Mais Condé, allié aux Espagnols, ne se laisse pas duper. Il force Turenne à lever le siège de la ville. Les Franco-Espagnols réunissent leurs forces pendant que les Anglais rejoignent l’armée royale à Saint-Quentin. Mazarin envoie le maréchal de la Ferté attaquer Arlon et Montmédy, aux confins du Luxembourg, pendant que le vicomte de Turenne et les Anglais couvrent l’opération sur la Sambre et la Meuse. Les Franco-Espagnols décident d’en profiter pour surprendre Calais, mais ils échouent. Montmédy capitule le 6 août 1657, ainsi que Saint-Venant trois semaines plus tard. Aussitôt, Turenne court au secours d’Ardres, forçant l’ennemi à lever le siège. La campagne se termine par la prise de Mardyck, fort important par sa proximité avec Dunkerque.

Début mai de l’année suivante, le roi amène 2 000 à 3 000 hommes commandés par Castelnau à Calais, puis à Mardyck. Turenne, à la tête de 7 000 à 8 000 hommes, progresse vers Dunkerque où il doit rejoindre les 6 000 Anglais de Lokard. Mais l’ennemi a inondé la plaine qui s’étend de Bergues à Furnes et il ne trouve aucun passage. La seule voie libre est barrée par une redoute. Turenne fait construire des ponts sur la Colme et combler des fossés pour passer. Il demande dans le même temps de l’aide à Castelnau pour prendre l’ennemi en tenaille. Débordés, les Espagnols se retirent dans Bergues et Dunkerque. Turenne place alors son armée dans les dunes près de l’estran.

Le vicomte de Turenne par Charles Le Brun

Le siège de Dunkerque débute le 15 mai 1658, la flotte anglaise en faisant le blocus côté mer. La place est commandée par un brave gouverneur, le marquis de Leyde, qui ordonne dès le quatrième jour une sortie. Celle-ci est repoussée après avoir semé le désordre, mais elle sera suivie de plusieurs autres les jours suivants. Don Juan d’Autriche et le prince de Condé apprennent la nouvelle avec surprise : Gravelines, Bergues et Furnes étant entre leurs mains, ils pensaient l’entreprise impossible. Réagissant rapidement, ils rassemblent l’armée pour se porter au secours de Dunkerque. Leur avant-garde atteint le 13 juin les tranchées de Turenne, suivie deux jours plus tard du reste de l’armée. Turenne met l’armée en bataille, laissant quelques troupes dans les tranchées. Il dispose ses troupes sur une hauteur, fait planter des pieux sur l’estran et bâtir en hâte quelques retranchements sur le haut des dunes.

L’armée espagnole s’arrête à une demi-lieue (1,6 km) des lignes françaises, sa droite appuyée à la mer, sa gauche au canal qui va de Furnes à Dunkerque, le centre dans les dunes qui s’avèrent « accessibles, mais inégales ». Dans la nuit, le prince de Condé fait construire un pont sur le canal qui tient son aile gauche. Turenne s’en aperçoit et, craignant que l’ennemi ne traverse pour marcher des deux côtés du canal, prend l’initiative du combat.

L’armée de Turenne compte 8 000 à 9 000 fantassins et 5 000 à 6 000 chevaux ; l’infanterie, 18 bataillons d’infanterie dont six anglais, est placée au centre sur deux lignes alors que la cavalerie, composée de 58 escadrons, est placée sur les ailes et en réserve. Cinq pièces d’artillerie sont positionnées sur chaque aile. Castelnau commande l’aile gauche de cavalerie, Créqui et d’Humières l’aile droite, Richelieu la réserve. Gadagne commande la première ligne d’infanterie et Bellefonds la seconde.

En face, l’armée franco-espagnole est retranchée sur une dune, couverte d’un « rempart de sable où il était difficile de monter ». Don Juan d’Autriche est à l’aile droite, avec le marquis de Caracène, le duc d’York, le duc de Gloucester et don Estevan de Gamare ; Condé est à l’aile gauche avec Coligny, Boutteville, Persan, Guitaut et le comte de Suze. Ses effectifs sont comparables aux Français : 6 000 fantassins en 15 bataillons et 8 000 chevaux en 62 escadrons. La cavalerie est disposée entre les dunes, sur deux lignes, derrière l’infanterie. L’artillerie espagnole n’a pas encore rejoint l’armée.

L’armée de Turenne marche au petit pas, les hommes s’attendant les uns les autres afin de garder l’alignement. Les pièces d’artillerie progressent devant les premiers escadrons, tirent un ou deux coups, puis sont attelées pour reprendre leur progression. Cinq tirs seront ainsi réalisés avant que les armées ne se joignent. En mer, des frégates anglaises s’approchent et ouvrent le feu sur le flanc espagnol. Sur l’aile gauche française, deux bataillons anglais gravissent la dune la plus avancée et croisent la pique avec les Espagnols, avec beaucoup de fierté et de courage. Les Espagnols « avaient la droite de tout », c’est-à-dire la place d’honneur. Un tercio, celui de Gaspard Boniface, est mis e fuite mais la cavalerie espagnole, placée en soutien de son infanterie, menace les Anglais. La cavalerie française accourt au grand trot : quelques escadrons ayant progressé le long de l’estran surgissent entre les deux lignes ennemies, semant la confusion. Plus à droite, l’infanterie française – gardes françaises et suisses, régiments de Picardie et de Turenne – soutenue par quatre escadrons de cavalerie, attaque l’infanterie wallonne, irlandaise et française qui lui est opposée. Celle-ci lâche aussitôt pied. La cavalerie française parvient de son côté à rompre les premiers escadrons du prince de Condé, mais celui-ci intervient en personne et rétablit la situation. La cavalerie de Turenne, ayant poussé trop avant, est « ramenée » par l’ennemi. Profitant de ce répit, toute la cavalerie de Condé avance en bon ordre. Mais les bataillons des gardes françaises et suisses, tournant légèrement à droite, et le régiment d’infanterie de Montgomery, situé à l’extrême droite, la reçoivent en lâchant une décharge meurtrière. Condé a un cheval blessé sous lui, Boutteville et Coligny sont faits prisonniers. La confusion se répand dans les rangs ennemis.

Ses deux ailes ébranlées, toute l’armée franco-espagnole tente de se replier en bon ordre. Mais l’exercice va s’avérer délicat : près de 1 000 tués et blessés restent sur le champ de bataille et 3 000 à 4 000 ennemis sont faits prisonniers. Les pertes de Turenne sont insignifiantes. L’armée étant mobilisée sur le siège de Dunkerque, il n’est cependant pas possible de poursuivre longtemps l’ennemi. Don Juan d’Autriche, le marquis de Caracène, le duc d’York et le duc de Gloucester parviennent à s’échapper.

Bataille des Dunes, lithographie en couleurs de Maurice Leloir (1904)

Dunkerque capitulera le 25 juin et sera remise entre les mains des Anglais le soir même. La place redeviendra française en 1662, lorsque Charles II la revendra à Louis XIV. Quatre jours plus tard, Turenne prend Bergues, puis Furnes. Le traité des Pyrénées mettra définitivement fin au conflit, un an et demi après, le 7 novembre 1659.

Stéphane Thion

 

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