L’armée suédoise de Gustave Adolphe (1629-1632)
L’année 1630 marque un tournant dans la guerre de Trente ans : un grand capitaine, Gustave Adolphe va transformer la manière de combattre. Fort des enseignements d’Henri IV et de Maurice de Nassau, et de sa propre expérience acquise lors des guerres contre la Russie et la Pologne, le roi de Suède sera l’homme des synthèses.
Gustave Adolphe n’a pas révolutionné l’art de la guerre, mais il a su faire la synthèse parfaite des enseignements de son époque. Il a intégré les petites formations d’infanterie, s’inspirant des petits bataillons huguenots et des bataillons de Maurice de Nassau, et repris à son compte les habitudes de Coligny et Henri IV, d’intercaler des petites formations de mousquetaires commandés entre leurs escadrons de cavalerie. Il a parfaitement pris à son compte les enseignements de Nassau et de Billon en organisant des brigades d’infanterie à 3 bataillons : Le Roi de Suède avait rangé son armée sur deux lignes, avec un corps de réserve. (…) La première ligne était composée au centre de petits bataillons bien plus faciles à se mouvoir, & à se rallier que ceux de Tilly, dira Arkenholz dans son Histoire de Gustave Adolphe. Quant à la cavalerie, il a cherché à privilégier le choc, à l’instar des Condé, Coligny et Henri IV. Mais Gustave Adolphe ne s’est pas contenté de ces enseignements. Il a su les améliorer grâce à quelques apports personnels. Les deux principaux en sont le feu de salve – ne tirez votre coup que lorsque vous aurez joint l’ennemi d’assez près pour lui voir le blanc des yeux, dira Gustave Adolphe à ses mousquetaires, à Breitenfeld – et le petit canon de bataillon de 3 livres – Gustave fit avancer ses canons de cuir bouilli qui, tirant de près & fort vite, firent un effet étonnant (Arkenholz décrivant la bataille de Breitenfeld). Tournant la page des tâtonnements de ses prédécesseurs, de Maurice de Nassau à Christian IV du Danemark, le Roi de Suède parviendra à faire des armées protestantes une implacable machine.
L’infanterie suédoise comprend, en 1630-31, 16 régiments provinciaux comptant 8 à 11 compagnies – Uppland, Närke-Värmland, Södermanland, Östgötaland, 3 régiments pour Småland, Västmanland, Dalarne, Västerbotten, Helsingland-Gestrikland, Ångermanland, 3 régiments pour Västgötaland et Österbotten plus 8 régiments et 4 compagnies finnois – 2 régiments pour Åbolän-Björneborg, 3 régiments pour Tavastehus-Nyland, 3 régiments pour Viborg-Nyslott et l’escadron du colonel Th. Kinnemunds. En 1634, le nombre de régiments d’infanterie à la disposition du Royaume de Suède est de 20 régiments à 8 compagnies, dont 7 recrutés en Finlande. À ces régiments provinciaux, s’ajoute le régiment des Gardes. La plupart de ces régiments iront en Allemagne où ils seront rapidement identifiés par le nom de leur colonel (Öfverste) plutôt que par leur province de recrutement. Le reste de l’infanterie de Gustave Adolphe sera composée de régiments mercenaires provenant des anciennes armées de Mansfeld et de Brunswick.
Le régiment d’infanterie suédois compte théoriquement 1 200 hommes, dont 1152 soldats et sous-officiers, en 8 compagnies de 150 hommes. Chaque compagnie est formée de 16 officiers et 144 hommes. Ces 144 hommes se décomposent en 18 chefs de files, dont 6 caporaux, 54 piquiers et 72 mousquetaires, soit 126 hommes du rang. Chaque caporal est à la tête d’une escouade de 18 piquiers (3 files de 6 hommes) ou 24 mousquetaires (4 files de 6 hommes), la compagnie ayant 3 escouades de 18 piques et 4 escouades de 24 mousquetaires. L’état-major de la compagnie comprend un capitaine, un lieutenant, une enseigne, deux sergents, un maître d’arme (rüstmeister), un fourrier, un chef des couleurs (führer), un secrétaire, 3 tambours et 4 servants pour les officiers. Un document de 1631-32 prévoit ainsi, pour les 1008 soldats des 8 compagnies du régiment, 576 mousquets, 576 fourchettes, 576 bandoulières, 1008 épées, 1008 pots (casques), 432 piques, 432 “colliers d’armes” (peut-être des gorgerins protégeant le haut du corps), 48 pertuisanes et 16 tambours. Le régiment des Gardes est formé de 8 compagnies organisées sur le même pied que les régiments provinciaux. Il sera reformé, en janvier 1645, en 20 compagnies complètes pouvant former 5 escadrons. Tous les escadrons sont à 4 compagnies, et chaque compagnie à 144 hommes, officiers compris, auxquels s’ajoutent 18 passe-volants. L’état-major d’un régiment comprend un colonel, un lieutenant-colonel, un major, un quartier-maître, 2 à 4 prédicateurs, 4 barbiers, 4 prévôts, 2 secrétaires, un maître des provisions, 2 “chevaliers” des provisions et un bourreau. Cet établissement est doublé pour le régiment des Gardes à partir de 1645.
Pour combattre, le régiment d’infanterie est théoriquement scindé en 2 escadrons de 500 hommes sur 6 rangs. Ces escadrons seront en fait, sous Gustave Adolphe, regroupés par trois et disposés en flèche, pour former la brigade suédoise des années 1630. Selon Lord Rea, la brigade de 4 escadrons des années 1629-30 se forme à partir de 2 régiments, soit 2016 hommes. Les 864 piquiers et 1152 mousquetaires sont alors regroupés en 12 divisions de 72 piquiers et 12 divisions de 96 mousquetaires. Le premier escadron de la brigade, celui en pointe, compte 216 hommes (36 files de 6 hommes), et de 192 mousquetaires (16 files de 6 hommes) en soutien, derrière le bloc de piquiers. Sur chaque flanc de cet escadron sont disposés un bloc de 216 piquiers (36 files) avec son aile de 192 mousquetaires (32 files). Trois divisions de mousquetaires (288 hommes en 48 files) sont laissées en réserve. Les divisions restantes forment un quatrième escadron en soutien, qui sera abandonné par la suite. Une brigade suédoise occupera environ 90 mètres pour 142 files, chaque homme occupant un espace de 2 pieds.
Il s’agit bien sûr de chiffres théoriques qui vont évoluer à mesure de l’avancée de la campagne. Le comte Gualdo Priorato décrit l’armée suédoise à Breitenfeld, comme composée de six formations de 1 500 hommes totalisant 72 compagnies (soit 6 brigades de 12 compagnies) : Bannier (i.e. Baner), maréchal de camp, commandait l’infanterie de la première ligne faisant 19 000 hommes distribués en 6 bataillons (brigades) de 1500 hommes chacun, des régiments Axel-Lillie, Oxenstierna, Hasever, Teuffel, Erichhausen, Hall, Hohendorf & Winckel. Chaque bataillon était précédé de 5 pièces de canon de cuir bouilli de nouvelle invention, chargées à cartouche & faciles à transporter. Ces corps vêtus de casaques bleues & jaunes marchaient sous 72 enseignes de couleurs différentes aux armes de la Suède avec cette inscription en lettres d’or : Gustavus Adolphus Rex Fidei Evangelicae Defensor. Un an plus tard, à Lützen (1632), toujours selon Gualdo, les brigades suédoises seront formées à partir d’un nombre de compagnies variable, en fonction des effectifs : venaient ensuite 4 gros bataillons d’infanterie allemande et suédoise, assez espacés entre eux pour que ceux qui étaient derrière pussent y trouver place sans confusion. C’étaient les deux brigades noire et jaune, ainsi nommées de la couleur de leurs casaques, qui marchaient sous 28 enseignes (compagnies) aux armes de Suède ; auxquelles le roi avait joint les brigades bleue et verte formées de 18 compagnies des régiments de Winckel et Relingen et de celui de Bernard de Weimar mené par son lieutenant Wildenstein. À la tête de cette infanterie était le comte Nicolas Brahe de Wisinsbourg (colonel de la brigade jaune) qui marchait quatre pas en avant la pique à la main sous 26 enseignes de différentes couleurs et chargées de devises singulières. Au corps de bataille étaient 4 autres bataillons étendus sur un large front et disposés derrière les premiers de façon à pouvoir sans confusion remplir l’intervalle d’un flanc à l’autre. C’étaient 34 compagnies d’infanterie des régiments de Stechnitz, Brandtstein, Loewenstein, Steinbach et Anhalt, les colonels à leur tête marchant la pique à la main et vêtus tous de manière à être reconnus du soldat dans la mêlée. À Lûtzen, chacune des huit brigades suédoises compte en réalité de 1100 à 2 000 hommes avec une moyenne de 1 400 à 1 500 hommes. La réalité des effectifs va faire apparaître un manque criant de piquiers au fur et à mesure de la progression d’une campagne : un régiment possède en moyenne 32% de piques en mai 1631, pour 28% en septembre de cette même année ; puis 37% de piques en août 1632 pour 26% en novembre 1632. La brigade suédoise ne survivra pas à la défaite de Nördlingen (1634). À Wittstock, en 1636, Baner disposera ses bataillons de 850 à 900 hommes de manière classique, un bloc de 47 à 50 files de 6 piques flanqué de deux ailes de 47 à 49 files de 6 mousquets.
Gualdo atteste que les régiments suédois se distinguaient par la couleur de leurs casaques : à Breitenfeld, ces corps vêtus de casaques bleues et jaunes marchaient sous 72 enseignes ; et à Lutzen, c’étaient les deux brigades noire et jaune, ainsi nommées de la couleur de leurs casaques. Arkenholz rapporte pour sa part que, à Lutzen, où le régiment des Gardes fit des prodiges de valeur, le lendemain on voyait ces habits jaunes couchés sur le ventre, dans le même ordre où ils étaient en combattant. Les régiments colorés ne sont pas une initiative suédoise : ils proviennent à l’origine des régiments de Mansfeld qui passèrent auparavant au service du Danemark. Mansfeld avait ainsi à son service, en 1622, un régiment blanc, un régiment bleu & blanc, un régiment rouge, un régiment jaune et un régiment vert. Néanmoins ces couleurs faisaient probablement référence au drapeau plutôt qu’à un quelconque uniforme. Au début des années 1620, les tenues de l’infanterie suédoise étaient comparables à leurs homologues françaises, la laine non teinte étant dominante. Mais dès 1625 les Scandinaves semblent avoir revêtus leur infanterie d’une couleur distinctive. Les Danois ont ainsi, en 1625 et 1626, un régiment rouge et un régiment bleu dont les soldats portent des casaques de ces couleurs. Fin 1627, une lettre d’un observateur britannique confirme que Gustave Adolphe a vêtu ses soldats uniformément, le rouge, le jaune, le vert et le bleu étant cités. L’armée franco-weimarienne de Longueville et Guebriant comptait encore, en 1639-40, des régiments weimariens colorés, les régiments jaune, rouge & noir. Il s’agit des anciens régiments qui étaient auparavant à la solde suédoise.
La cavalerie de Gustave Adolphe compte, en 1631, 4 régiments suédois – Uppland, Östgötaland, Småland et Västgötaland – et 4 régiments finnois – Åbolän-Björneborg, Viborg-Nyslott, Tavastehus-Nyland, et un quatrième identifié dans mes sources – tous à 8 compagnies. S’ajoutent à ce total le régiment d’Ingermanland à 6 compagnies. Les 4 régiments suédois iront en Allemagne, et seront rejoints par un cinquième créé plus tard, Södermanland, alors que les Finlandais en formeront un à 8 compagnies. La compagnie de cavalerie suédoise ou finnoise compte théoriquement 115 hommes, se décomposant en un capitaine, un lieutenant, un enseigne, 2 caporaux, un fourrier, un secrétaire, un chapelain, un prévôt, un barbier-chirurgien, un forgeron, 2 trompettes et 102 soldats. En pratique, ces effectifs seront rarement atteints, et on ne compte que 50 à 80 chevaux par compagnie pour les régiments nationaux qui combattent en Allemagne, en 1631, seul le régiment finnois parvenant à 700 chevaux pour 8 compagnies. La cavalerie de Gustave Adolphe sera donc, comme son infanterie, principalement constituée d’unités allemandes. Les régiments allemands sont de taille variable, de 4 à 12 compagnies, chaque compagnie faisant théoriquement 111 hommes dont 12 officiers et sous-officiers.
Comme le dit l’auteur du Tableau militaire (Histoire des dernières campagnes de Gustave Adolphe, de Gualdo), les Suédois n’avaient que des cuirassiers & des dragons. Leurs cuirassiers n’étaient pas aussi pesamment armés que ceux de l’empereur. Effectivement, la cavalerie suédoise et finnoise est considérée par les observateurs contemporains comme Arquebusiers à cheval, par opposition aux cuirassiers plus lourdement armés. Ainsi, une liste de 1630 énumère 36 cornettes d’arquebusiers à cheval de Suède & Finlande, 2 cornettes d’Arquebusiers à cheval allemands et 80 cornettes de cuirasses allemandes.
Les cuirassiers suédois se protègent d’une demi-cuirasse à l’épreuve du mousquet et d’un pot (casque). Selon Gualdo, la cavalerie du roi de Suède ajoute un marteau à son armement : Ils avaient des cuirasses, des pistolets, de bonnes épées et des massues en fer qui d’un côté avaient un marteau et de l’autre un crochet pour tirer à bas le cavalier ennemi par ses habits ou par les boucles de son armure.
Les dragons ont un armement plus proche de celui de l’infanterie. Selon Gualdo, Ces dragons ou mousquetaires à cheval étaient tous gens choisis, robustes & d’une valeur reconnue. Leur fonction était de soutenir la cavalerie, & quand l’occasion s’en présentait, ils mettaient pied à terre dans un poste avantageux, & faisaient feu sur l’ennemi. S’ils n’étaient pas les plus forts, ils remontaient à cheval & regagnaient l’armée. Ils servaient d’escorte aux convois, formaient une embuscade à la hâte, battaient battaient l’estrade, montaient à l’assaut, enfin, il n’y a point à la guerre de services que cette troupe ne rendit. Ces dragons étaient armés de mousquets ordinaires, dont la mèche était tournée sur un petit bois qu’ils fichaient à la têtière de leurs chevaux. Leur épée était courte, & à l’arçon de la selle pendait une petite hache qui servait à couper le bois, à abattre des palissades, &c. Au contraire des impériaux, les dragons suédois combattaient le plus souvent à cheval, quoiqu’ils missent pied à terre au besoin. Ils composaient la cavalerie légère de Gustave-Adolphe.
La cavalerie protestante combat en escadrons disposés sur 3 rangs de profondeur selon Montecuccoli, peut-être 4 rangs au début de la campagne, comme le prétend W. Harte. L’espace occupé par le cavalier est probablement de 3 pieds de front sur 10 de hauteur comme l’indique Schildknecht. En pratique, la profondeur de l’escadron devait dépendre des effectifs réels et de l’espace disponible. Gualdo évoque, à Breitenfeld, de gros escadrons de 1 000 chevaux : Leur aile droite que Gustave commandait en personne était de 4 000 chevaux en 4 gros escadrons, 2 d’allemands & 2 de finlandais. (…) Derrière le Roi marchaient les colonels Wunsch, Todt, Soop & Steinbock qui conduisaient cette cavalerie. Entre chaque escadron il y avait un intervalle de 100 pieds ou environ rempli par 200 mousquetaires d’élite pour faire feu sur la cavalerie ennemie avant qu’elle fut à la portée du pistolet. (…) Gustave Horn maréchal de camp des armées de Gustave commandait l’aile gauche & marchait à la tête de 4 000 cuirassiers, formant comme ceux de l’aile droite quatre gros escadrons des régiments de Horn, Callenbach, Baudis & Uslar. Dans leurs étendards au nombre de 52 verts & orangés on voyait un bras qui tenait une épée avec ces mots : Si Seus Pro Nobis, Quis contra nos (Si Dieu est pour nous, qui sera contre ?). Sur d’autres où il y avait une épée & un sceptre en sautoir on lisait ces mots : Ensem Gradivus, Sceptrum Themis Ipsa Gubernat (Mars gouverne l’épée & Themis tient le sceptre).
Gustave-Adolphe privilégie la charge à l’arme blanche : le cavalier doit faire feu dès qu’il parvient à portée de pistolet, puis mettre le sabre à la main, le choc ayant été facilité par cette première décharge. À Breitenfeld, selon Gualdo, Gustave entrait dans la mêlée comme le simple officier chargeait & culbutait les impériaux à la tête de ses Finlandais. Rien n’approcha de leur intrépidité. On les voyait s’encourager l’un l’autre, donner dans les escadrons ennemis, revenir à la charge, les enfoncer, les traverser & y mettre un si grand désordre que les cuirassiers de l’empereur ne firent pas même la retraite. La charge devait se réaliser à l’épée, la pointe en avant, en visant la gorge. Mais Arkenholz rapporte que Gustave Adolphe dit à ses cavaliers, le jour de Breitenfeld : Si vos épées ne peuvent percer les cavaliers Impériaux, à cause du fer dont ils sont couverts, enfoncez-les dans le poitrail des chevaux.
Aquarelles de K.A. Wilke
Stéphane Thion