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L’armée française à Fribourg (août 1644)

L’armée française à Fribourg (août 1644)

 

L’armée française en 1644

Au commencement de la campagne de 1644, l’infanterie royale se compose de 166 régiments, dont 31 sont étrangers. Les régiments français comptent alors généralement 20 compagnies de 70 hommes (à l’exception des gardes françaises dont les 30 compagnies sont à 200 hommes). Quinze régiments comptent 30 compagnies alors que 43 régiments comptent entre 4 et 15 compagnies. L’effectif théorique de 1400 hommes pour 20 compagnies ne sera pratiquement jamais atteint. Il est en effet rare de voir des bataillons compter plus de 800 hommes une fois la campagne commencée.

L’ordonnance du 18 octobre 1643 sur les quartiers d’hiver prescrit donc que les régiments ayant moins de 20 hommes par compagnie devront, à la fin de la campagne, être licenciés. C’est ainsi que les régiments de Nangis, de Souvigny, du Ferron, de Roqueservière, de Clermont-Vertillac, de Sivron, de l’Église, de la Mezangère, de Grammont, de Croissy et de Thorigny disparaissent. Les vieux corps[1] pourront conserver toutes leurs compagnies mais, pour les autres, on ne devra maintenir sur pied que les compagnies suffisamment fortes. Les officiers concernés par ces suppressions se verront notifier leur congés alors que sergents et soldats seront incorporés dans les anciens régiments ou dans les compagnies maintenues. Enfin, durant l’hiver, les capitaines devront rétablir l’effectif de leur compagnie à 70 hommes, qu’elles soient d’infanterie ou de cavalerie. Ainsi, l’ordonnance du 20 décembre 1643 prescrit que les Maîtres de camp, Capitaines et Officiers s’obligeront de « rendre leurs compagnies complètes de soixante dix hommes chacune, armés pour l’infanterie les deux tiers de mousquetaires, et le tiers de piques ; et pour la cavalerie chaque cavalier du pot[2], de cuirasse devant et derrière, et de deux pistolets ». Tous les officiers devront être présent avant la campagne de 1644, c’est à dire au 15 février.

Le 19 juillet 1644, Le Tellier écrira à Turenne que son infanterie « se trouve faible par la mauvaise foi du colonel et l’avarice des officiers français ». Il ajoute : « Il faut que je vous avoue ingénument qu’il est tout à fait difficile de vous fortifier de nouveaux corps, puisque la dépense que nous avons faite pendant l’hiver pour y parvenir, se trouve si mal employée ; si vous ne vous résolvez, monsieur, à faire quelque démonstration de sévérité contre les officiers, commençant par ceux de vos régiments, et celui de monsieur votre neveu, comme ayant été les mieux traités, ce sera encore pis à l’avenir ».

L’encadrement d’une compagnie d’infanterie comprend un capitaine, un lieutenant, un enseigne ou sous-lieutenant, deux sergents armés de hallebardes, trois caporaux, trois anspessade[3] et un tambour. Les caporaux et les anspessades ont l’armement des soldats qu’ils commandent.

La cavalerie se forme théoriquement, depuis janvier 1638, en régiments de 8 compagnies de chevau-légers et une compagnie de mousquetaires. En réalité, les régiments sont plus souvent à de 5 à 6 compagnies de 70 hommes, rarement 8. La réalité et la théorie font rarement bon ménage. Ainsi, en 1639, le régiment d’Alais compte 11 compagnies dont une de mousquetaires, les régiments de la Ferté-Imbaut et de Gesvres, 8 compagnies dont deux de mousquetaires, les régiments de Guiche et de Brouilly, 9 compagnies dont deux de mousquetaires, le régiment de Cursol, seulement 6 compagnies.

Les compagnies de Gendarmes, sont dites « franches », c’est à dire qu’elles ne sont pas enrégimentées.

Les compagnies, à l’exception des gendarmes, sont de 70 maîtres, qui doivent être équipés, début 1644, « chaque cavalier du pot, de cuirasse devant et derrière, et de deux pistolets ». Il s’agit là bien sûr d’un vœu pieu, régulièrement invoqué par les ordonnances royales. L’ordonnance du 14 juillet 1636 insistait déjà pour que « les gens de cheval aient la cuirasse pour le moins ». Cette mauvaise habitude d’alléger l’équipement va se poursuivre puisque l’ordonnance d’octobre 1642 rappelle une fois de plus que « les capitaines de cavalerie seront obligés d’avoir leurs soldats armés chacun d’une cuirasse, d’un pot, et deux pistolets, le tout en bon état ». À cette époque, c’est l’état qui fournit cet équipement, comme le souligne Sirot en 1642 : « Les recrues se firent en moins d’un mois, et les cavaliers se trouvant du nombre qu’on le désirait, le maréchal de Guiche me fit délivrer les armes pour les armer, que je distribuai à tous les régiments ; mais il ne s’y trouva que pour armer 2 000 chevaux, et il en restait encore 1 000 qui étaient sans armes ». L’écart entre la théorie et la pratique n’est pas anecdotique. Ainsi, fin 1639, sur les onze compagnies de chevau-légers du régiment Colonel, quatre sont armées[4], une en partie armée et six non armées. Sur les six compagnies de chevau-légers du régiment de Gesvres, deux sont non armées. Le régiment de la Ferté-Imbaut, plus épargné, n’a qu’une compagnie de chevau-légers non armée sur les six. La situation est encore plus « critique» pour les régiments étrangers : Les régiments de L’Eschelle et de Fittingost ont tous les deux six compagnies, toutes non armées.

Depuis Sully, l’artillerie comprend six modèles : le canon avec boulet de 33 livres, qui peut tirer jusqu’à 1500 pas[5], la grande couleuvrine avec boulet de 16 livres, la bâtarde avec boulet de 7 livres et demi, la moyenne avec boulet de 2 livres et demi, le faucon avec boulet d’1 livre et demi et le fauconneau avec son boulet de trois-quarts de livre. Dès 1635, l’artillerie française va bénéficier des enseignements de ses alliés suédois. L’infanterie utilisera les canons légers de type fauconneaux en plus grand nombre. À Fribourg, l’armée de Champagne compte ainsi deux demi-canons et quinze fauconneaux alors que l’armée d’Allemagne compte six demi-canons et quatorze fauconneaux. Les fauconneaux, pièces maniables, ont l’avantage de pouvoir progresser au même rythme que l’infanterie, la précédant d’un feu destructeur. Cette arme, bien que fragile, a l’intérêt d’être manœuvrable par un seul cheval tout en ayant une portée de 1000 pas. Depuis 1634, le maréchal de La Meilleraye est grand maître de l’artillerie. Le marquis de Chouppes sera son lieutenant-général à l’armée de Champagne.

Le 8 novembre 1643, les commissaires et contrôleurs des guerres reçurent l’ordre de faire prêter serment de « bien et fidèlement servir Sa Majesté et la Reine Régente sa mère, sous la charge et autorité de Monseigneur le duc d’Orléans, lieutenant-général représentant la personne de Sa Majesté et en son absence de ceux qui commanderont lesdits gens de guerre. »

Les troupes du duc d’Enghien forment le cœur de l’armée de Champagne. Elles comprennent à l’origine le régiment d’Enghien, 20 compagnies levées en 1635, puis le régiment de Conti et le régiment de Persan. S’y ajoutent les régiments de cavalerie : le régiment d’Enghien, quatre compagnies de gendarmes et une compagnie de chevau-légers levées entre 1634 et 1636. D’autres unités seront ajoutées en 1643 et 1644 à l’armée de Champagne : les régiments d’infanterie Mazarin-français[6], Bussy, Le Havre, Fabert, Guiche et Desmarets (ces derniers étant liégeois) ; les régiments de cavalerie Mazarin, Guiche, Beauveau et L’Eschelle, les deux derniers étant liégeois.

Le cœur de l’armée d’Allemagne de Turenne est composée de troupes weimariennes de feu Bernard de Saxe-Weimar, passées au service de la France en 1635. Elles sont formées de trois régiments d’infanterie (Hattstein, Bernhold et Schmidtberg), sans compter les unités en garnison, et onze régiments de cavalerie (Baden, Berg, Erlach, Fleckenstein, Kanoffsky, Alt-Rosen, Neu-Rosen, Russwurm, Sharfenstein, Taupadel et Wittgenstein). À ces troupes allemandes vont s’ajouter sept régiments d’infanterie française (Aubeterre, Du Tot, La Couronne, Mazarin-italien, Melun et Montausier) et trois régiments de cavalerie (Guebriant, Tracy et Turenne).

L’armée française à Fribourg

L’armée française qui va affronter son adversaire bavarois à Fribourg n’a rien de prestigieuse : aucun vieux corps parmi les régiments d’infanterie, ni gardes françaises ni gardes suisses. Mais elle est constituée d’unités de vétérans. La plupart des régiments  sont cependant des régiments permanents, ayant plusieurs campagnes à leur actif. Il en est de même des régiments de cavalerie. Et surtout, l’armée de Turenne est constituée de ce qui se fait de mieux en Allemagne : les régiments weimariens de feu Bernard de Saxe-Weimar.

En 1644, alors qu’il prend en charge le commandement de l’armée d’Allemagne, le vicomte de Turenne fait « remonter à ses dépends 5 000 cavaliers et habiller 4 000 fantassins ». Il lui faut en effet remettre sur pied cette armée qui avait beaucoup souffert l’année précédente. Il la réorganise à sa main, comme il l’écrit à Mazarin le 29 février : « Je ne veux pas de tous ces maréchaux de camp servant par jour, l’un défaisant ce que l’autre a fait, mais quatre généraux majors, deux attachés à la cavalerie, deux à l’infanterie ». Il prend comme lieutenant-général, « pour commander sous le maréchal de Turenne en la manière que M. de Guébriant commandait sous le duc Bernard », d’Aumont, au détriment de Taupadel.

Pour la campagne qui s’annonce, son armée s’établira en réalité à 10 000 hommes dont 5 000 gens de pied, 5 000 chevaux et une vingtaine de pièces d’artillerie. L’armée du duc d’Enghien présente un effectif comparable : 10 000 hommes dont 6 000 gens de pied, 4 000 chevaux, et 17 canons.

L’infanterie du duc d’Enghien compte neuf régiments – Persan, Enghien, Conti, Mazarin-français, Le Havre, Bussy, Fabert, Guiche, Desmarets, ces deux derniers liégeois – alors que l’infanterie de Turenne compte six régiments français – Montauzier, Melun, la Couronne, Mazarin-italien, Aubeterre, du Tot – et trois régiments weimariens – Hattstein, Bernhold et Schmidtberg.

La cavalerie du duc d’Enghien comprend ses gardes, les compagnies de gendarmerie Enghien, Condé, Conti et Guiche, les régiments de cavalerie Enghien, Guiche, Cardinal Mazarin, Mazarin français, L’Eschelle, Beauveau (tous deux liégeois) et des compagnies de chevau-légers franches. La cavalerie de Turenne comprend les régiments français de Turenne, de Guébriant, et de Tracy ainsi que onze régiments weimariens – Rosen (Alt-Rosen et Neu-Rosen c’est à dire l’ancien et le nouveau régiment de Rosen), Fleckenstein, Berg, Baden, Wittgenstein, Russwurm, Scharfenstein, Erlach, Taupadel et Kanoffsky.

Le marquis de Chouppes commande l’artillerie du duc d’Enghien en tant que lieutenant général. Ayant pris ses fonctions, il commence par ordonner une revue des officiers et chariots de l’artillerie. Il obtient à la mi-juillet, grâce au soutien de Mazarin contre le duc d’Enghien, la préséance des commandants de l’artillerie sur les sergents de bataille. L’artillerie des armées réunies comporte alors près de 40 pièces d’artillerie bien fournies en munitions diverses.

Au sein de l’armée de Champagne, d’Espenan, le comte de Tournon et Palluau sont maréchaux de camp[7]. Le maréchal de Castelnau-Mauvissière et Mauvilliers (ou Mauvilly), lieutenant des chevau-légers d’Enghien, sont maréchaux de bataille[8].

[1] Les vieux corps désignaient les six plus anciens régiments français, formés dans la seconde moitié du XVIe siècle : Picardie, Piémont, Champagne, Gardes françaises, Navarre, Normandie, ce dernier formé en 1616.

[2] C’est à dire d’un casque de cavalerie appelé aussi capeline.

[3] Anspessade ou lancepessade : terme provenant de l’italien lancia spezzata, signifiant « lance brisée ». En France, ce grade fut créé en janvier 1508 : Louis XII institua ainsi douze places de lancepessades dans les bandes du Piémont. Ces places étaient réservées à la noblesse dans le but de l’attirer dans les rangs de l’infanterie. C’est ainsi que des cadets de Gascogne ou des gens d’armes ruinés acceptèrent de servir à pied.

[4] C’est à dire que les cavaliers sont équipés du pot et de la cuirasse.

[5] Le pas est une unité de longueur datant des Romains. Un pas mesurait alors 2,5 pieds soit environ 75 centimètres.

[6] En plus de son régiment de cavalerie, le cardinal Mazarin leva plusieurs régiments d’infanterie, dont deux, Mazarin-français et Mazarin-italien étaient présents à Fribourg.

[7] Les maréchaux de camp organisaient le campement et le logement de l’armée, en concertation avec le général de l’armée. Pendant la bataille, les maréchaux de camp commandaient un des corps de l’armée ‘une des ailes ou la réserve).

[8] Le maréchal de bataille est une fonction créée à la fin du règne de Louis XIII (vers 1643). Sa principale fonction est de mettre l’armée en bataille en fonction du plan décidé. En pratique, il était secondé par des sergents de bataille.

 

L’apparition d’une nouvelle formation : la brigade

La première moitié du XVIIe siècle est emblématique de l’évolution de l’organisation tactique de l’infanterie. C’est effectivement au début du siècle qu’apparaît la brigade en tant que formation tactique.

Durant le XVIe siècle, l’infanterie se groupe en gros bataillons de 3 à 6 000 hommes qui prennent la forme de carrés : carrés d’hommes, c’est à dire présentant autant d’hommes de front que de côté (50 files sur 50 rangs pour un bataillon de 2500 hommes) ou carrés de terrain, c’est à dire que les hommes occuperont une surface au sol carrée, (150 par 150 pieds par exemple). Le commandement reste relativement centralisé et, malgré l’apparition dans les armées françaises de lanspessades en 1508, puis de caps d’escadres – ancêtres des caporaux – sous François Ier, les chefs d’armée ne prennent pas le risque de diviser ces formations en unités autonomes plus manœuvrables. Il faut attendre Condé et Coligny pour voir apparaître, comme à la bataille de Saint-Denis en 1567, des petites formations indépendantes de 500 hommes. Henri IV reprendra cette vision tactique et la poussera encore plus loin. En 1590, pour la bataille d’Ivry, il aligne son infanterie par petites unités de 500 hommes, mais chaque bataillon de 500 piquiers suisses ou lansquenets est encadré par deux bataillons de 500 arquebusiers français. Et la tactique inter-arme est poussée encore plus loin : entre chacune de ces formations de trois bataillons est intercalée un escadron de cavalerie. Ni Jacques-Auguste de Thou[1], dans son Histoire Universelle, ni les autres historiens ne donnent de nom particulier à ces formations d’infanterie. « Chaque escadron avait sur ses flancs un corps d’infanterie pour le couvrir, et était précédé par quelques aventuriers », écrit simplement de Thou. Davila[2], dans son Histoire des guerres civiles en France, est encore plus laconique sur le sujet : « A chaque escadron il joignit un bataillon, qui par une grêle d’arquebusades, devait soutenir la cavalerie, éclaircir les rangs ennemis ».

À l’initiative de Maurice Nassau, les guerres de Hollande voient l’utilisation de petits bataillons de 400 à 600 hommes résolument inter-armes. À la différence de ceux d’Henri IV, les bataillons de Maurice de Nassau mêlent piquiers et mousquetaires. Le terme de brigade n’est pas encore utilisé mais on observe que les bataillons sont regroupés principalement par paires. Le déploiement de l’armée du prince d’Orange, à Juliers[3] en 1610, montre bien que les bataillons sont groupés par deux. Les Danois imiteront quinze ans plus tard ces dispositions en déployant leur armée, en 1625, sur le même modèle : les bataillons sont groupés deux par deux et placés en losange.

Avec le retour de la paix, les vingt premières années du XVIIe siècle voient la publication de traités militaires s’appuyant sur les expériences des guerres de religion française et hollandaise : « L’art militaire pour l’infanterie » de Jean-Jacques Walhausen[4], publié en 1615 ; « Les principes de l’art militaire » de Jérémie de Billon[5], écrit en 1608, et les « Discours militaires » du sieur du Praissac publié en 1614 en sont quelques exemples. Ces trois auteurs prônent l’utilisation de petits bataillons de moins de 1000 hommes alignés sur un maximum de 10 rangs. Pour Billon, ces bataillons seront groupés par trois : « L’on fera trois bataillons, dont il y en aura deux en face qui sembleront n’être qu’un corps, et un autre derrière ces deux là. (…) Ou bien on mettra un bataillon seul en front et deux autres derrière ». Walhausen et Du Praissac présentent comment un régiment, qui reste une unité administrative, peut être décomposé en plusieurs bataillons. Mais aucun de ces auteurs n’emploient encore le terme de brigade. Cette nécessité ne s’impose pas encore puisque en pratique, il s’agira de scinder un régiment en deux ou trois bataillons.

Cette désignation va apparaître une dizaine d’années plus tard chez les Suédois et les Français. Les premiers vont tout d’abord, entre 1617 à 1621, organiser leurs régiments en escadrons, terme équivalent au bataillon français. Puis, en 1627, Gustave Adolphe va regrouper ces escadrons en brigades, une brigade pouvant rassembler des escadrons provenant de plusieurs régiments. Ces brigades réuniront trois escadrons entre 1627 et 1628, puis quatre escadrons, avant de revenir à trois entre 1631 et 1634. La taille de ses brigades va rapidement se réduire puisqu’en 1642 une brigade ne compte plus qu’un régiment, soit 8 à 16 compagnies d’infanterie.

Sous l’impulsion de Wallenstein, les Impériaux vont suivre l’exemple puisqu’ils formeront, en 1633, six brigaden réunissant chacune trois ou quatre régiments, soit 23 à 37 compagnies par brigade. En ce sens, les pratiques impériales diffèrent de celles des Suédois car, comme l’écrira plus tard Montecuccoli[6], « de plusieurs escadrons et bataillons, se forment les corps ou les grands membres de l’armée qu’on appelle Brigades. Des brigades ont fait, l’avant-garde, le corps de bataille, l’arrière-garde qui marchent devant, au milieu, derrière ». Pourtant, à l’image des pratiques suédoises, ou par nécessité, la taille des brigades impériales va se réduire avec le temps. À la seconde bataille de Breitenfeld, en 1642, les brigades d’infanterie impériales ne compteront plus que 10 à 12 compagnies d’infanterie soit l’équivalent d’un régiment.

L’armée française adoptera la brigade probablement un peu avant 1628. Jacques Callot[7] nous a laissé une représentation de l’armée royale devant La Rochelle, cette année là : l’infanterie est formée en losanges dont chaque sommet est formé de groupes de deux bataillons. Il s’agit là de la formation utilisée par les Hollandais en 1610 et par les Danois en 1625. En France, le terme de brigade, pour désigner ces groupes de bataillons, apparaît au plus tard en 1629. Ainsi, cette année là, au siège de Privas, Champagne et Piémont forment brigade. Une brigade ne sera pas formée systématiquement de deux bataillons puisqu’à la bataille de Thionville, en 1639, une brigade est constituée de trois bataillons, deux provenant du régiment de Navarre et le troisième du régiment de Beauce. Cette notion de brigade n’est pourtant pas encore claire pour tout le monde. Ainsi le terme brigade a été utilisé, notamment par Louis XIII, pour désigner les deux divisions formées en 1635 par les maréchaux Châtillon et Brézé au sein de l’armée de Picardie. Il s’agira là d’un excès de langage pour désigner ce partage, non souhaité par le Roi, de l’armée en deux parties. Chacune de ces deux brigades est alors composée d’un nombre important de régiments et de compagnies de cavalerie : 10 à 12 régiments d’infanterie faisant chacun un bataillon et 26 compagnies de cavalerie formant 15 escadrons. Chacune des deux brigades est désignée soit par le nom du maréchal qui la commande, soit par le nom du vieux corps autour duquel elle a été formée. Au sein de cette armée, et avant l’année 1641, apparaît alors le grade de sergent-major de brigade d’infanterie.

L’année 1644 se distingue par l’utilisation systématique de la brigade d’infanterie au sein de l’armée française. Cette année là, les sources écrites nous listent les brigades de deux ou trois bataillons formées pour la bataille de Fribourg : la brigade d’Espenan composée des régiments Enghien et Persan ; la brigade Tournon composée des régiments Conti et Mazarin-français ; la brigade Marsin composée des régiments Le Havre et Bussy ; une quatrième brigade composée des régiments Guiche, Desmarets et Fabert ; la première brigade française de Turenne composée des régiments de Tot et d’Aubeterre ; la seconde brigade de Turenne composée des régiments La Couronne et Montausier ; la troisième brigade de Turenne composée des régiments Mazarin-italien et Melun ; enfin, les régiments weimariens d’Hattstein, de Bernhold et de Schmidtberg (ou Schönbeck) forment, si l’on en croit une lettre de Turenne à d’Erlach (datée du 30 juillet), deux brigades. Ils n’en formeront plus qu’une par la suite. La cavalerie, pour sa part, n’utilise pas encore la formation en brigades.

La brigade ne deviendra une formation permanente, et non plus un groupement temporaire, qu’en 1668. Par l’ordonnance du 27 mars de cette année seront créés les brigadiers d’infanterie dont le rôle est de commander les brigades.

[1] Jacques-Auguste de Thou (1553-1617), historien, écrivain et homme politique, auteur d’une Histoire universelle depuis 1543 jusqu’en 1607.

[2] Enrico Caterino Davila (1576-1631) était un italien au service d’Henri IV. Il est l’auteur d’une Histoire des guerres civiles de France depuis la mort de Henri II jusqu’à la paix de Ferrois (1598).

[3] Juliers, ou Jülich en Allemand, est une ville située en Rhénanie-du-Nord (Allemagne). La mort de Jean-Guillaume, duc de Juliers, Clèves et Berg, en 1609, donna lieu à un conflit armé. La Guerre de Succession de Juliers pris fin en 1614 par la signature du traité de Xanten.

[4] Johann Jacob von Walhausen (c. 1580-1627) était un écrivain militaire allemand. Il avait prévu de publier un recueil sur l’art militaire en six parties, traitant de l’infanterie, la cavalerie, l’artillerie, les tactiques, les fortifications et les guerres navales. Il mourra avant d’achever son oeuvre.

[5] J. de Billon, seigneur de Prugne. Il entre à l’armée en 1594. Trois ans plus tard, Henri IV le nomme lieutenant du régiment de Chappes, régiment qui prendra le nom de Nerestang à partir de 1631. Ses Principes de l’Art Militaire étaient destinés à tous les jeunes écoliers d’armes du royaume.

[6] Raimondo, comte de Montecuccoli (1609-1680), né à Modène, fut un des grands capitaines du XVIIe siècle. Il sera général des troupes impériales, et adversaire de Turenne entre 1673 et 1675. Il est l’auteur des Memorie della guerra.

[7] Jacques Callot (1592-1635) était un dessinateur et graveur lorrain. On lui doit notamment les Grandes Misères de la guerre, tableaux saisissant de la guerre de Trente Ans.

 

L’armée de Champagne et l’armée d’Allemagne

Armée de Champagne (Enghien et de Guiche) :

Régiments d’infanterie :                                                               Effectif estimé

Enghien                       30 compagnies de 70 hommes             800 hommes

Persan                          30 compagnies de 70 hommes             800 hommes

Conti                             30 compagnies de 70 hommes             800 hommes

Mazarin                        30 compagnies de 70 hommes             800 hommes

Le Havre                       20 compagnies de 70 hommes             800 hommes

Bussy -Lameth             20 compagnies de 70 hommes             800 hommes

Guiche (liégeois*)       20 compagnies de 70 hommes             400 hommes

Desmarets (liégeois*) 10 compagnies de 100 hommes           400 hommes

Fabert                             20 compagnies de 70 hommes             400 hommes

Total estimé                                                                                  6000 hommes

 

Régiments de Cavalerie :

Gardes d’Enghien                                                                       200 chevaux

Gendarmes d’Enghien                          4 compagnies            600 chevaux

Chevau-légers d’Enghien                      1 compagnie              150 chevaux

Gendarmes de la Reine**                     1 compagnie               150 chevaux

Régiment de cavalerie Enghien             6 compagnies (?)    400 chevaux

Régiment de cavalerie Mazarin             6 compagnies (?)    600 chevaux

Régiment de Guiche                             10 compagnies          600 chevaux

Régiment liégeois de L’Eschelle*                                           600 chevaux

Régiment liégeois de Beauveau*                                            600 chevaux

Compagnies franches de chevau-légers                                     ?

Total estimé :                                                                              4000 chevaux

 

* Les fantassins et cavaliers de Marsin n’apparaissent pas distinctement à Fribourg. Il semble que ces hommes, 1200 cavaliers et 800 fantassins, aient formés les régiments de cavalerie L’Eschelle, et Beauveau, et d’infanterie Guiche et Demarets. Mais rien n’est plus sûr, la Gazette de France listant le régiment d’infanterie de Guiche et les régiments de cavalerie de L’Eschelle et de Beauveau parmi ceux envoyés à la rencontre de Marsin, en pays liégeois.

** Lettre de Mazarin au duc d’Enghien, du 11 juin 1644

Artillerie : 2 demi-canons et 15 fauconneaux

Armée d’Allemagne (Turenne et Rosen)

Infanterie :                                                                                   Effectif estimé

Aubeterre                  20 compagnies de 70 hommes             500 hommes

La Couronne             20 compagnies de 70 hommes             500 hommes

Mazarin-italien        12 compagnies de 100 hommes            500 hommes

Montausier               20 compagnies de 70 hommes             500 hommes

Melun                        20 compagnies de 70 hommes             500 hommes

Du Tot                       20 compagnies de 70 hommes             500 hommes

Schmidtberg           5 ou 6 compagnies de 100 hommes      500 hommes (weimariens)

Hattstein                5 ou 6 compagnies de 100 hommes      500 hommes (weimariens)

Bernhold                5 ou 6 compagnies de 100 hommes      500 hommes (weimariens)

Total estimé                                                                           5 000 hommes

 

Le reste de l’infanterie weimarienne est à Brisach, avec d’Erlach

Une source (une version de l’Histoire du vicomte de Turenne de Ramsay), cite le régiment de Mézières, en brigade avec le régiment de Montausier. Ce régiment n’apparait dans aucune source et n’a en réalité jamais existé. Par contre, lors de sa jonction avec Marsin, en pays liégeois, Enghien avait emmené avec lui « 400 hommes commandés des garnisons de Sedan, Mézières et Charleville », d’où la confusion possible. La brigade Montausier était donc uniquement composée des régiments Montausier et La Couronne.

 

Cavalerie :                                                                                       Effectif estimé

Régiment de Turenne                                                               400 chevaux

Régiment de Guébriant                                                            250 chevaux

Régiment de Tracy                                                                    300 chevaux

Régiment Alt-Rosen (weimarien)                                          400 chevaux

Régiment Neu-Rosen (weimarien)                                        350 chevaux

Régiment de Baden (weimarien)                                           400 chevaux

Régiment de Berg (weimarien)                                              350 chevaux

Régiment d’Erlach (weimarien)                                             400 chevaux

Régiment de Fleckenstein (weimarien)                                350 chevaux

Régiment de Kanoffsky (weimarien)                                     350 chevaux

Régiment de Russwurm (weimarien)                                    350 chevaux

Régiment de Scharfenstein (weimarien)                              350 chevaux

Régiment de Taupadel (weimarien)                                      400 chevaux

Régiment de Witgenstein (weimarien)                                 350 chevaux

Total estimé                                                                            5 000 chevaux

Artillerie : 6 demi-canons et 14 fauconneaux

 

Ci-dessus : Cavalerie (et infanterie) weimarienne (Aquarelle de K.A. Wilke)

 

 

 

Stéphane Thion

 

La cavalerie à l’aube du XVIIe siècle

La cavalerie à l’aube du XVIIe siècle

Lance contre pistolet

Depuis le début des guerres de religion, les folles charges de cavalerie ont marqué les esprits. Dreux, Saint-Denis, Moncontour, La Roche l’Abeille, Coutras… autant de champs de bataille dont la terre raisonne encore du galop des chevaux. Mais en cette fin de siècle, la question de l’armement du cavalier lourd est sujet à débat.

A l’aube du XVIIe siècle, pour la majorité des théoriciens militaires (Basta, Walhausen, Melzo) il n’existe plus que trois catégories de cavaliers : les lanciers, les cuirassiers (qui englobe les reîtres allemands, les herreruelos espagnols et les chevaux légers huguenots) et les arquebusiers à cheval ou carabins. Walhausen y ajoute les dragons. Alors que l’arquebusier à cheval et le carabin sont des cavaliers qui démontent, le dragon apparaît tout d’abord comme une infanterie montée. Mendoza, qui écrit quelques années auparavant, puis Montgommery et Billon utilisent pour leur part une autre classification : plutôt que de distinguer les cavaliers par leur armement, ils le font par leur façon de combattre : gendarmes (hombres de armas), chevaux légers (cavalleria ligera) et arquebusiers à cheval ou carabins (arcabuzeros a cavallo), Mendoza évoquant encore les reîtres (herreruelos). La raison en est simple : avec l’avènement d’Henri IV, la lance a été abandonnée par la noblesse française. Gendarmes et chevaux-légers utilisent maintenant le même armement, les seconds plus légèrement armés et protégés, alors que les arquebusiers à cheval et carabins sont pour leur part armés d’une arquebuse. Mais en Espagne, le débat sur l’intérêt de la lance fait rage.

Bernardin de Mendoza, dans sa Théorie pratique de la guerre, écrite en 1596, affirme que les lances sont plus efficaces que les reîtres ou herreruelos. Les escadrons de lances n’ont pas besoin d’être plus nombreux que 100 ou 120 au plus, alors qu’il faut 400 ou 500 herreruelos dans un escadron. Les succès des chevaux légers huguenots des guerres de religion, armés de pistolets, et des cuirassiers de Nassau ne feront pas changer d’avis les principaux théoriciens militaires du début du XVIIe. Comme le dit George Basta, comte du Saint-Empire Romain germanique et gouverneur Général de Hongrie et Transylvanie sous Rodolphe II, l’introduction des cuirasses en la France, avec un total bannissement des lances a donné l’occasion de discourir quelle armure serait la  meilleure. Lui aussi était convaincu du pouvoir de la lance : la lance inventée pour percer & diviser un escadron, demande vélocité & force pour le choc. Mais il ajoute que, pour obtenir l’impact escompté, l’utilisation de la lance nécessite quatre conditions : un bon cheval, un terrain plat, un cavalier parfaitement entraîné à son maniement et enfin, qu’elle soit répartie en petits, & non pas en gros escadrons, qu’il nomme escadronceaux, les établissant à vingt & cinq ou trente chevaux. La même année, Jean-Jacques Walhausen consacre le premier chapitre de son ouvrage « De l’instruction et gouvernement de la cavalerie» au lancier. Son opinion rejoint celle de Basta, et il propose que les lanciers soient réunis en petites compagnies de 40 à 60 chevaux, et celle de l’Espagnol Ludovic Melzo, qui écrit en 1619 un ouvrage sur le service de la cavalerie. Enfin, tous ces auteurs se rejoignent lorsqu’ils affirment que le cuirassé est plus facile à recruter et à former que le lancier.

L’historien Davila illustre bien ces débats lorsqu’il relate les combats de cavalerie prenant place devant Amiens en 1597 : durant les différentes escarmouches qu’on livra continuellement dans la plaine, plusieurs remarquèrent que quand le combat se passait entre cuirassiers ou carabins de part et d’autre, l’avantage demeurait pour l’ordinaire aux Français, mais que lorsque les gendarmes flamands ou franc-comtois entraient en lice, la cavalerie française ne pouvait soutenir le choc de leurs lances. Pour obvier à cet inconvénient qui causait beaucoup de perte et de chagrin à la noblesse, le Roi s’avança à la tête de ses escadrons, ordonnant de ne point se serrer en escarmouchant, mais de laisser beaucoup de vide entre eux. On en fit l’essai plusieurs fois, et l’on vit que le choc des lances ne rencontrant rien de solide, demeurait presqu’entièrement inutile. Cette manœuvre produisit un grand avantage, tant parce qu’on escarmouchait par pelotons dans une vaste plaine, où il était aisé de s’étendre, que parce que les lances des Espagnols étaient en très-petit nombre, en comparaison de la cavalerie française.

La cavalerie hollandaise va suivre l’exemple français en abandonnant la lance au cours des années quatre-vingt-dix. En 1591, à Knodsenbourg, le prince Maurice de Nassau dispose de quatre cornettes de lanciers et deux cornettes de carabins alors qu’en 1597, la cavalerie hollandaise n’est plus composée que de cuirassiers : à la bataille de Tielsche-Heyd, près de Turnhout, en 1597, la cavalerie portant des grandes pistoles avait l’avant-garde, et était divisée en six troupes (Les lauriers de Nassau, par Jean Orlers et Henry de Haestens, 1612). À Nieuport, en 1600, la cavalerie est uniquement formée de cornettes de cuirassiers, accompagnées de quelques-unes de carabins alors que les Espagnols possèdent plusieurs cornettes de lanciers. L’armée du Cardinal Albert qui se porte au secours de la ville d’Amiens, en 1597, compte ainsi 1 500 lanciers, soit la moitié de la cavalerie espagnole. Les Espagnols seront les derniers à aligner des escadrons de lances, ne les abandonnant que vers 1633.

 

Officier et lancier espagnols vers 1620-1630 (Aquarelle de K.A. Wilke)

Gendarmes, chevaux légers et carabins

Il existe encore, en France, comme en Espagne ou en Savoie, des compagnies de gendarmes. Mais il ne s’agit plus des anciennes compagnies d’ordonnance, qui disparaissent dans les années 1590. Au début du XVIIe siècle, selon Du Praissac, les compagnies de gendarmes ou d’hommes d’armes, sont divisées en compagnies de cent hommes d’armes, au moins celles du Roy, des Princes, du Connétable & des Maréchaux de France, les autres ne sont pas si fortes. Louis de Montgommery nous décrit des compagnies de gendarmerie plus fortes sous Henri IV (vers 1603) : nous laisserons les compagnies de gendarmes complètes de 200 maîtres pour les princes, officiers de la couronne et gouverneurs de provinces ; et les autres de 100 pour les seigneurs, et ceux auxquels il plaira au roi d’entretenir, effectif confirmé par l’ordonnance du 29 avril 1611. Et il décrit en détail leur équipement : leurs armes seront complètes, et useront de grèves et genouillères, dedans ou dessus la botte ; la cuirasse à l’épreuve de l’arquebuse devant et derrière ; ils porteront au lieu de la lance une escopette de celles que l’on fait maintenant, lesquelles tirent à 500 pas, car elles ne sont guère plus longues ni plus empêchantes que les pistolets de l’autre côté de l’arçon, ils y mettront un pistolet chargé d’un carreau d’acier, d’une flèche acérée.  (…) Pour l’ordre de combattre, chaque brigade (une compagnie se décompose en quatre brigades) se mettra cinq à cinq, qui fera pour la compagnie de 200 hommes d’armes 20 de front et 10 rangs, au troisième rang le guidon, et l’enseigne au cinquième. (…) Pour entrer au combat, ils doivent allé au pas, jusqu’à 100 pas de l’ennemi, puis au trot jusqu’à 25 ou 30, cela se juge à l’oeil, gardant toujours soigneusement leurs rangs, l’escopette sur la cuisse et le pistolet avec le chien couché dans le fourreau : lors les trompettes sonneront la charge, et les enfants perdus feront leur salut (feront feu), et eux tenant à demi bride, tireront leurs escopettes, les appuieras sur le poing de la bride au moins des premiers rangs, et lors chargeront à toute bride le pistolet à la main lequel ils ne tireront point qu’appuyé dans le ventre de l’adversaire, au dessous du bord de la cuirasse dans la première ou seconde lame de la tassette (s’il est possible).

Concernant les chevaux légers, Montgommery les décrit comme des gendarmes plus légèrement armés : quant aux chevaux légers, les troupes seront toutes de 100 maîtres, feront 3 quadrilles, et en useront comme nous avons dit des gendarmes ; ils s’armeront d’armes complètes, ayant une cuirasse à preuve et le reste léger ; ils auront un pistolet à l’arçon sous la main de la bride, et à l’autre leur salade ou habillement de tête. Leur apparence ne se modifie guère entre les années 1590 et 1620 comme nous le montre cette description des chevaux légers du Roi en 1614 : suivaient les chevaux légers de la compagnie (du Roy), armés & cuirassés le casque en tête, les guidons en main, avec les écharpes & livrées de sa Majesté.

Mais si Montgommery prescrit que la cavalerie combatte sur 10 rangs, le sieur Du Praissac, qui écrit dix ans plus tard et est plus imprégné des théories de Maurice de Nassau,  préconise que des compagnies de 108 chevaux se déploient sur 6 rangs.

Montgommery donne la paternité des carabins aux Espagnols et les décrit ainsi : les carabins sont institués pour entamer le combat, pour suivre la victoire, pour les retraites, et pour les escarmouches : ils sont nommés carabins par les Espagnols qui en ont été les auteurs. Melzo affirme pour sa part que les arquebusiers à cheval furent inventés par les Français, lors des dernières guerres du Piémont qui les appelèrent dragons, nom qu’ils gardent encore. (…) Les Arquebusiers à cheval sont de grand profit si on les emploie avec raison : parce qu’ils sont bien utiles pour les gardes des quartiers, pour les escortes (surtout lorsqu’on escorte des voitures) pour battre l’estrade et pour aller prendre langue. Il décrit plus loin les carabins et la manière de combattre qu’ils doivent adopter : leurs armes doivent être, une cuirasse échancrée à l’épaule droite, afin de mieux coucher en joue, un gantelet à coude pour la main de la bride, un cabasset en tête, et pour armes offensives une longue escopette de 3 pieds et demi pour le moins ; les plus longues se porteront mieux en écharpe. Il doit porter aussi un pistolet comme les autres. Les carabins doivent être prompts à recharger, et pour cet effet porter des cartouches à la reître, et quantité de poudre et de plomb sur eux, chacun un bon cheval et vif, mais non pas des petits bidets. Pour leur manière de combattre étant dans l’ordre que j’ai dit ci-devant, seront 15 de front et 7 à 8 rangs ; les 2 quadrilles de carabins à main gauche, trois à trois, celle du maréchal des logis s’avancera la première conduise par son caporal, lequel aura une longue arquebuse au poing. Jérémie de Billon nous dit, vers 1610, que la compagnie de carabins serait de soixante hommes (…). Ils auraient la cuirasse à l’épreuve et un pot ou salade sans autres armes défensives. Et pour armes offensives, une grosse arquebuse à rouet de trois pieds ou un peu plus, ayant fort gros calibre, et l’épée au côté, et un pistolet court, c’est comme le roi les a lui-même institué.

Ces carabins, armés, selon Davila, pour la plupart de plastrons & de casques, & montés sur de petits chevaux vifs & exercés à toutes les évolutions, sont redoutés de l’ennemi.

Gendarme/Cuirassier vers 1630 (Aquarelle de K.A. Wilke)

 

De la compagnie au régiment de cavalerie

Au début du XVIIe siècle, les impériaux lèvent déjà des régiments de cavalerie comptant de 5 à 10 compagnies de 100 chevaux. Beaucoup de ces régiments  joignent compagnies de cuirassiers et d’arquebusiers. Ainsi les trois régiments wallons, de 500 chevaux chacun, envoyés au Palatinat en 1620, comptent 3 compagnies de cuirassiers et 2 compagnies d’arquebusiers chacun. Cette même année, plusieurs régiments de la Ligue catholique comptent 600 cuirassiers et 400 arquebusiers. Une compagnie comprend le plus souvent un capitaine (Rittmeister), un lieutenant, un cornette, un fourrier, 3 caporaux, 3 trompettes, un maréchal-ferrant, parfois un secrétaire (mustershreiber), un armurier (plattner), un maréchal des logis, un quartier-maître et un prévôt. Walhausen propose que les compagnies de cuirasses soient de 100 hommes pour le moins, les compagnies d’arquebusiers, qu’il appelle aussi carabins ou bandeliers à cheval, de 50 à 60 chevaux et les compagnies de dragons de 200 hommes.

La cavalerie danoise du roi Christian IV, qui combat pour la cause protestante de 1625 à 1629, est aussi organisée en régiments. Chaque régiment compte 6 compagnies de 106 chevaux. Une compagnie se divise en quatre troupes, trois de 27 cuirassiers et une de 25 arquebusiers.

La seule unité permanente, en France, en Hollande et en Espagne, reste la compagnie franche d’une centaine de chevaux. Louis de Montgommery propose, à l’aube du XVIIe siècle, que chaque compagnie de chevaux légers ait une troupe de 50 carabins avec elle, en deux quadrilles de 25, sous la charge d’un lieutenant.  Mais, en 1621, les troupes de carabins seront séparées des compagnies de chevaux légers, et formeront un corps particulier sous un mestre de camp des carabins, Arnaud de Corbeville. Et il faudra attendre 1635 pour voir en France la première tentative de formation en régiments, que ce soit de carabins ou de chevaux légers. Hollandais et Espagnols font aussi combattre leurs compagnies d’arquebusiers à cheval de concert avec les cuirassiers. Ainsi, à Nieuport, le comte Louis-Günther de Nassau commande à 3 compagnies d’arquebusiers de s’avancer et faire leur décharge alors qu’il les suit de près avec 5 ou 6 compagnies de cuirassiers.

Quand à la manière de faire combattre, le cavalerie combat en escadrons de 200 à 700 chevaux sur une dizaine de rangs de profondeur. Certains généraux privilégient de gros escadrons, d’autres, comme le prescrit Montgommery, de petits escadrons, plus faciles à commander. C’est effectivement ce que fit Henri IV à Ivry, selon Palma de Cayet : le Roy, qui avait expérimenté en d’autres batailles et combats qu’il était plus avantageux de faire combattre la cavalerie en escadron qu’en haye. Le Roi juge donc, selon Davila, à propos de partager sa cavalerie en plusieurs escadrons, pour affaiblir le choc des lances, & afin que dès qu’elles auraient chargé, deux ou trois escadrons moins gros pussent les attaquer de toutes parts, & ne pas exposer toute sa cavalerie à essuyer de front la violence de leur première charge. Chacun de ces escadrons comptent 250 à 400 chevaux, à l’exception du sien qui en fait 600. Espagnols et Hollandais forment aussi des escadrons de 200 à 400 chevaux en regroupant 2 à 4 compagnies. Les Espagnols les appellent trozos, les Hollandais, troupes.

Au début de la guerre de Trente ans, les escadrons comptent en moyenne 400 chevaux, que ce soient ceux de Tilly ou ceux des protestants. Les catholiques forment leurs escadrons sur 10 rangs alors que les protestants adoptent des formations moins profondes, sur 6 rangs. Ces formations étaient bien adaptées à la tactique de la caracole, privilégiant le feu à la charge épée en main. Chaque rang de cavalier avance alors à 30 ou 50 pas de l’ennemi, fait feu puis se retire à l’arrière de l’escadron pour recharger. La caracole en «limaçon» est similaire, à la différence que le tir se fait par file : la file de gauche s’avance, tourne sur sa droite de façon à présenter son flanc gauche à l’ennemi, fait feu, fait le tour de l’escadron et vient se replacer à sa position d’origine pour recharger.

L’allègement de la cavalerie lui permet par ailleurs de démonter, comme c’était le cas durant la guerre de cent ans. Montgommery termine ainsi son ouvrage par les mots suivants : toutefois la cavalerie généreuse, pleine de noblesse, comme la nôtre, peut en partie intervenir à ces défauts, car elle est si volontaire & prompte au service de son Roy, & encline à l’honneur, que volontiers une partie, voire tous mettront pied à terre pour quelque grand effet, chose que nous avons vu souvent exercer durant nos dernières guerres civiles. Car quand nous mettrons dans chaque régiment français 200 gentilshommes & 100 carabins à pied, la pique à la main, & le pistolet en écharpe, il n’y a bataillon d’Espagnols ni même de Wallons, lesquels je crois être des meilleurs fantassins du monde qui n’en fut sauvé, témoin le convoi de Lan. Cet épisode est décrit en détail par Sully dans ses mémoires. Il s’agit de l’attaque, par le maréchal de Biron, d’un convoi espagnol défendu par 100 chevaux et 1 600 à 1 800 fantassins espagnols, wallons et allemands : le combat tirant en longueur, Biron ordonna donc pour dernière ressource, que les 100 gentilshommes missent pied à terre, qu’ils joignissent à leurs armes, qui étaient l’épée et le pistolet, la pique (il en avait fait apporter en quantité), et qu’ils remmenassent à la charge nos gens de pied français et suisses, qui n’avaient encore pu entamer les Espagnols. Les Espagnols cédèrent enfin et se sauvèrent dans les bois et sous les chariots, après avoir jeté leurs armes. Cette pratique n’est pas propre à la cavalerie française puisque Tilly, qui combat alors, en 1600, en Hongrie sous le comte de Mercoeur, fait aussi démonter ses cuirassiers au moins en une occasion, pour repousser une bande de 3 000 Tartares.

Stéphane Thion

L’armée du maréchal de La Force mobilisée contre le duc de Lorraine, septembre 1634

L’armée du maréchal de La Force mobilisée contre le duc de Lorraine, septembre 1634

Un petit bijou de document trouvé à la BNF, envoyé par le maréchal de la Force au roi. On y trouve la liste des compagnies et régiments ainsi que le nombre de chariots.
En 1634, une compagnie de cavalerie compte théoriquement 100 chevaux, moins de 50 dans la réalité. En 1628, Richelieu a voulu réunir les compagnies qui comptaient à peine 50 chevaux en escadrons d‘au moins 100 chevaux. Mais il ne réglementera réellement cette pratique que par l’ordonnance du 3 octobre 1634, constituant des “escadres” de 100 chevaux chacune.
Les vieux régiments d’infanterie comptent une vingtaine de compagnies et les régiments temporaires sont constitués de dix compagnies. La compagnie est théoriquement de 100 hommes, moins dans la pratique. L’année suivante Richelieu descendra la compagnie 3 officiers et 50 hommes.
Cette liste nous donne 40 compagnies de cavalerie et 25 régiments d’infanterie (dont 4 vieux).
40 compagnies totalisant 4,000 cavaliers soit plus de 95 chevaux par compagnie. Un chiffre élevé pour l’époque.
25 régiments d’infanterie totalisant 10,000 fantassins, soit 400 hommes par régiment. De l’ordre de 40 hommes par compagnie. Ce chiffre semble plus cohérent.
J’avais publié ce texte sur mon blog De Rohan à Turenne, mais il me parait utile de le partager à nouveau sur ce site.

L’ordre du départ et acheminement de l’armée du Roy, vers l’Allemagne, sous la conduite de Monsieur le Maréchal de La Force, de Vic le 17 de septembre 1634.

Avec le nombre des compagnies de cavalerie, et régiments d’infanterie de ladite armée.
A Lyon, 1634.

« Monsieur le maréchal de La Force, général de l’armée du roi, dans le duché de Lorraine, et frontière d’Allemagne, ayant (contre les forces du duc de Lorraine) pris et fait rendre les villes et nombres des places de ce duché, comme aussi les plus importantes de l’Alsace à l’obéissance de sa majesté, et notamment la ville de la Motte, contre l’opinion de plusieurs, attendu la situation et forteresse inexpugnable de cette place très importante. Après donc avoir mis de bonnes garnisons dans les villes, et places de Charmes, Remiremont, Haguenau, Saverne, Biches, Vaudemont, Ville-destin, Boar, et autres lieux de conséquence pour conserver lesdites places dans l’obéissance du roi, lesquelles garnisons ont été tirées de quelques régiments de ladite armée, ainsi qu’on a fait pour la garde de la ville de Nancy, deux compagnies de chaque vieux régiments. Ormis que pour la garnison de la ville de la Motte, le sieur de Perigord (que le roi a commis pour gouverneur) a levé des compagnies suivant le pouvoir que lui en a donné sa majesté pour la garnison de cette dite place.
Toutes choses étant bien assurée, d’un côté et d’autres, ledit sieur maréchal aurait donné avis au roi, et à messieurs les ministres d’état, de tout l’ordre des affaires, tant dudit duché, que frontières d’Allemagne, et ensuite de ce qu’il aurait reçu commandement de sa majesté de s’en venir dans la ville de S. Mihel (l’une des principales de la Lorraine) où il aurait séjourné quelques temps avec madame la marquise de La Force sa belle-fille, et tout le train de leur maison.
Durant ce séjour les compagnies de cavalerie et infanterie de l’armée ont été séparées en divers lieux, mais non pas tant éloignées qu’au premier boute-selle de la trompette, et bruit du tambour toutes les troupes pouvaient être dans peu de temps sur pied, tant que les choses avaient été bien ordonnées, et le tout sans fouler le peuple, sinon que des moindres incommodités de la guerre.
Ledit sieur maréchal étant, comme dit est, dans la ville de S. Mihel pour se rafraîchir du grand travail qu’il a eu continuellement jour et nuit pendant le siège de la Motte où il a force tout ce qui pu permettre son âge, (tant que le zèle qu’il a pour le service du roi, l’a obligé de ce faire). Il aurait reçu commandement de sa majesté, de partir de ladite ville de S. Mihel, pour cheminer vers les frontières d’Allemagne, il arriva en la ville de Mers, nonobstant toutes les injures du temps, le dimanche dix-septième de septembre.
pendant son séjour dans ladite ville il envoya visiter tous les quartiers de ladite armée, et faire commandement aux chefs et officiers de faire avancer les troupes, tant de cavalerie, qu’infanterie vers Vic, et Moyen-Vic, ce qu’ils firent suivant l’ordre qui leur avait été envoyé.
Toutes choses étant prêtes, et en état de se mettre en campagne, ledit sieur maréchal (l’infatigable dans ces peines, notamment quand elles sont pour le service du roi) se rend avec la compagnie de gendarmes, commandée par monsieur de Boësse son petit-fils dans la ville de Vic, le mercredi 27 ensuivant. Dans cette ville le conseil fut tenu entre les chefs, et l’ordre arrêté pour aller vers les villes de Haguenau et Saverne, et de là suivant le cours des affaires avancer à Fribourg avec les forces suivantes savoir :

Cavalerie pour l’Avant-garde de l’armée.
La compagnie colonelle, commandée par monsieur de Bouchavane.
La comp. du maître de camp.
La comp. écossaise.
La comp. de M. de Blagny colonel.
La comp. de M. de Lorriere.
La comp. de M. des Roches-bariteaut.
La comp. de M. de la Fraizeliere.

Avec ces sept compagnies de cavalerie l’on a aussi fait joindre sept compagnies de carabins, qui sont :
La compagnie de monsieur Arnault, maître de camp, de présent gouverneur pour le roi dans l’importante ville de Philisbourg en Allemagne.
La comp. de M. d’Arrancourt.
La comp. de M. du Pré.
La comp. de M. de Courval.
La comp. de M. le marquis de Villars.
La comp. de M. de Byderan.
La comp. de M. de la Motte.

Infanterie de l’avant-garde.
Le régiment de Picardie, commandé par M. le comte de Barraut.
Le régiment de Navarre, commandé par M. de S. Simon l’aîné.
Le régiment de Varenne.
Le régiment de Vaubecourt.
Le régiment de Rambure.
Le régiment d’Alincourt.
Le régiment de Villeroy.

Corps d’armée pour la cavalerie.
La comp. des chevaux légers du Roy, qui est de 200 maîtres, commandée par M. de Contenant.
La comp. de la Reine.
La comp. de M. le Prince.
La comp. de M. le Cardinal Duc de Richelieu, commandée par M. de Mouy.
La comp. de M. le maréchal de la Force, commandée par M. le marquis de Bosse son petit fils.
La comp. de M. le baron de la Cressonière.
La comp. de M. de la Ferté de Sainneterre.
La comp. du feu chevalier de Sainneterre.
La comp. de M. le marquis de Praslin.
La comp. de M. le comte de Vattimont.
La comp. de M. le comte de Vientail.
La comp. de M. le marquis de la Valette.
La comp. de M. le marquis du Terrail.
La comp. de M. la comte de Pouillé.
La comp. de M. comte de M. de Beauveau.
La comp. de M. le marquis de Fourille.
La comp. de M. le comte de Dampierre.

Infanterie du corps d’armée.
Le régiment de Normandie.
Le régiment de Piemont.
Le régiment de M. de Tonnains.
Le régiment de M. d’Auquincourt.
Le régiment de M. le marquis d’Effiat.
Le régiment de M. le marquis de Mailleraix.
Le régiment de M. de Aunay.
Le régiment de M. de Nettencourt.
Le régiment de M. du Plessis Joygny.
Le régiment de M. de S. Etienne.
Le régiment de M. de Castelmoron.
Le régiment de M. de Bettencourt.

Cavalerie de l’Arrière-garde de l’armée.
La comp. de M. de la Blocquerie Liégeois.
La comp. de M. de Miches Liégeois.
La comp. de M. le comte de Guiche.
La comp. de M. le marquis de S. Chaumont.
La comp. de M. le marquis de Villeroy.
La comp. de M. de Fequiere, de présent ambassadeur pour le roi en Allemagne.
La comp. de M. le Premier.
La comp. de M. le commandeur de la Porte.
La comp. de M. le marquis de la Maillerais.

Infanterie de l’arrière-garde.
Le régiment de M. le colonel Elbron Écossais.
Le régiment de M. de Chasteliers-Barlot.
Le régiment de M. le baron de Montozier.
Le régiment de M. le baron de S. Hilaire..
Le régiment de M. de la Boulley.
Le régiment de M. le vicomte de Turenne.

Le lecteur me pardonnera, si les compagnies de cavalerie et régiments d’infanterie ici contenues ne sont peut-être selon le vrai ordre qu’elles doivent être, mon intention n’est point de frustrer le rang à qui il appartient.

Outre les forces ci-dessus, ledit sieur maréchal fait aussi mener dans le corps de ladite armée 27 pièces de gros canons, et 34 moyennes, 800 tant chariots que charrettes chargées de munitions de guerre, 1600 tant chariots que charrettes chargées de vivres, et de toutes choses qui sont nécessaires pour subvenir à une puissante armée.
Par la grande prévoyance du sieur Coquet, général des vivres dans ladite armée, il a à la suite d’icelle des blés et farines plus qu’il ne faut pour fournir plus de deux mois de pain d’amunition, qui ne manque d’être délivré tous les jours aux soldats dont les contrôleurs doivent apporter deux fois la semaine les quittances des compagnies du conseil.
Et pour les payes des capitaines, lieutenants, officiers, gendarmes et soldats, qui est le seul nerf de la guerre, le sieur de Gobelin maître des requêtes ordinaires de l’hôtel du roi, et intendant de la justice et des finances de l’armée, y prend continuellement un tel soin, qu’à point nommé les montres sont payées par les officiers, en telle sorte qu’il n’y aucun suite de plaintes.
Cependant que ce généreux maréchal, vieux routier de la guerre, fait reconnaître quelles sont les forces des français, monsieur le marquis de la Force son fils aîné ci-devant premier maréchal de camp de ladite armée est de présent vers les Ardennes avec 14,000 hommes, savoir 4,000 de cavalerie, et 10,000 d’infanterie sous sa conduite, où il attend les commandements du roi.« 

Les formations d’infanterie à l’aube du XVIIe siècle

Les formations d’infanterie à l’aube du XVIIe siècle

À l’aube du XVIIe siècle, l’infanterie va se transformer. Les formations profondes espagnoles, suisses et allemandes, carré d’hommes ou carré de terrains, vont progressivement s’affiner.

L’infanterie de toutes les nations est maintenant organisée en régiments. Imitant le tercio espagnol, composé de 12 compagnies de 250 hommes, le régiment d’infanterie impérial est organisé en régiments de 10 compagnies de 250 ou 300 hommes soit, théoriquement, 2 500 ou 3 000 hommes. Le régiment wallon et bourguignon est aussi à 3 000 hommes, en 15 compagnies de 200 hommes. Ce sont ainsi 6 000 Wallons, en deux régiments, celui de Bucquoy et celui de Miraumont, que le Roi d’Espagne envoie à l’Empereur pour renforcer son armée, en 1619. Les régiments protestants des premières années de la guerre de Trente ans étaient de taille comparable, comptant 2 à 3 000 hommes. J.J. Walhausen, qui écrit son Art militaire pour l’infanterie vers 1606-1615, évoque, en parlant de la Haute-Allemagne, des régiments de 3 000 hommes à dix compagnies de 300 hommes, chaque compagnie comptant 150 mousquetaires et 120 piquiers plus l’encadrement : un capitaine, un lieutenant, un porte-enseigne, trois sergents, un capitaine des armes, un caporal des appointés, trois caporaux, trois lanspessades, les appointés, trois ou quatre tambours, un chirurgien et un prévôt.  Les vieux régiments français, comme on le verra plus loin, comptent plutôt 2 000 hommes en 20 compagnies de 100 hommes.

Pour combattre, l’infanterie se forme en bataillons ou escadrons. L’infanterie espagnole du Cardinal Albert, qui se porte au secours d’Amiens en 1597, compte quatre bataillons faisant de l’ordre de 4 000 hommes chacun, plus différentes manches d’arquebusiers : l’avant-garde était un bataillon carré, deux autres bataillons carrés formaient le centre, (…) et un corps d’infanterie d’élite fermait la marche, alors que 500 arquebusiers sont distribués dans les intervalles des charrettes. En pratique, un tercio de 3 000 hommes, composé de 1 324 corselets (coseletes en espagnol), 1 526 arquebusiers et 150 mousquetaires, se forme en un seul escadron, les corselets en formant le corps, disposés en 36 files de 36 hommes. Arquebusiers et mousquetaires forment alors les garnisons,  une à chaque angle du carré de piquiers. Martin Eguiluz, qui écrit en 1595, propose encore d’énormes escadrons de plus de 10 000 hommes et Lelio Brancacio qui écrit 30 à 40 ans plus tard, préconise de gros escadrons carré d’hommes, composés d’un ou plusieurs tercios. Un escadron composé d’un tercio complet sera de 2 500 hommes (1 000 piquiers, 1 050 arquebusiers et 450 mousquetaires), plusieurs tercios pourront composer un gros escadrons de plus de 6.000 hommes. Mais dès 1600, les escadrons espagnols, manches comprises, comptent moins de 2 000 hommes : 1 500 à 1 800 hommes pour chacun des quatre tercios aligné à la bataille de Nieuport, chaque tercio formant un escadron, et 1 300 hommes pour les escadrons alignés à Fleurus, en août 1622. Un mois plus tard, Gonzalvo de Cordova présentera son infanterie à l’Infante en 5 escadrons de 1 000 hommes

Durant la guerre de Trente ans, le bataillon impérial ou de la Ligue catholique dépasse rarement les 2 000 hommes : à la Montagne Blanche, cinq bataillons comptent 1 250 à 1 700 hommes, quatre font 2 000 à 2 500 hommes alors que les Wallons, vétérans des Flandres, forment un bataillon de 3 000 hommes. Le comte de Tilly est un adepte de l’escadron espagnol avec garnisons de mousquetaires. À la bataille de la Montagne Blanche, il dispose son aile droite, commandée par Bucquoy, en cinq gros d’infanterie avec leurs mousquetaires, aux pelotons des quatre coins et aux deux manches et les piquiers au milieu. Les quatre en forme carrée de pareille distance et le cinquième au milieu (Mémoires de Du  Cornet). Alors que les bataillons impériaux et liguistes se forment sur 20 à 30 rangs, en bataillon doublé, de façon à obtenir un bataillon deux fois plus large que profond, les bohémiens et les protestants scindent leurs régiments en bataillon de 800 à 1 000 hommes sur 10 rangs.

Selon le sieur du Praissac, ordinairement on fait cinq sortes de bataillons, à savoir carrés d’hommes, carrés de terrain, doublés – quand le front est au fond selon quelque proportion donnée, et de grand front. L’espace que quelque soldat occupe, marchant en bataille, est de 3 pieds en front, et 7 en fonds. (…) Les bataillons carrés d’hommes ou de terrain, sont faibles de front, et ceux de grand front sont fort faibles de fonds. Les Espagnols se servent le plus souvent des bataillons doublés, et les Hollandais de longs, car ils ne font leurs files que de 10 hommes. Walhausen propose de faire, avec un régiment de 3 000 hommes, de 3 à 12 escadrons, les formant en 50 files de 5 hommes, soit 250 hommes, ou en 100 files de 10 hommes, soit 1 000 hommes. Il s’inspire ainsi de Maurice de Nassau, qui scinde, à Nieuport, ses 9 régiments en 16 bataillons de 600 à 650 hommes chacun. Dans ses Principes de l’Art Militaire, Henry Hexham décrit le bataillon hollandais en files égales de 10 hommes. Pour lui, la meilleure façon de former une division est de réunir 500 piquiers et mousquetaires et d’en faire 25 files de chaque. Au début de la guerre de Trente Ans, de nombreux princes protestants s’inspireront de l’école hollandaise. Ainsi, l’armée du Margrave de Bade, qui affronte Tilly à Wimpfen les 5 et 6 mai 1622, est bien encadrée et bien entraînée, ses régiments organisés en 10 compagnies de 200 hommes. Chaque régiment est déployé en un bataillon de 1 400 hommes, le reliquat formant les enfants perdus, de 140 files sur 10 rangs, moitié mousquetaires, moitié piquiers. Les armées de Mansfeld et de Christian de Bunswick semblent être organisées en régiments d’une dizaine de compagnies de 200 hommes, effectif théorique bien sûr, combattant en bataillons de 1 000 hommes sur 10 rangs. L’infanterie danoise du roi Christian, qui combat de 1625 à 1629, s’inspire aussi de ce modèle, formant ses régiments à 12 compagnies de 200 hommes, en deux bataillons de 1 200 hommes, avec une proportion de deux mousquets pour une pique.

L’infanterie française, influencée par les pratiques des protestants, privilégie les bataillons faisant moins d’un millier d’hommes sur 10 rangs. Dès la bataille d’Ivry, Henri IV fait former de petits bataillons de 500 arquebusiers pour encadrer ses escadrons de cavalerie. Dans son sillage, Jérémie de Billon préconise, vers 1610, des bataillons de 500 hommes, disposés en 50 files sur 10 rangs, soit 300 piquiers flanqués de dix files de 10 mousquetaires de chaque côté. En cas de besoin, deux bataillons peuvent se réunir en un gros bataillon de 1 000 hommes. Mais cet auteur innove un peu plus en proposant de les déployer en brigades de trois bataillons : il y en aura deux en face qui ne sembleront n’être qu’un corps et un autre derrière ces deux là ; ou alors, on mettra un bataillon seul en front et deux autres derrière, et quand on en viendra aux mains avec l’ennemi, ils partiront et iront charger de flanc. Le sieur du Praissac, qui écrit à la même époque (vers 1610-1612), propose aussi de scinder les régiments en petits bataillons de 690 hommes comptant chacun cinq compagnies, moitié piquiers et moitié mousquetaires. Le maréchal de Créquy s’inspire sans doute des recommandations de ces deux auteurs, lorsqu’en 1620, au combat de Pont-de-Cé, il forme chacun de ses trois régiments (dix compagnies des Gardes-Françaises, Picardie et Champagne) en cinq bataillons de deux compagnies : cas régiments ayant détaché 100 à 150 enfants perdus, chaque bataillon ne compte guère plus de 300 hommes. Fin 1628, le régiment d’Estissac, qui compte alors 1 400 hommes, défile devant le Roi en deux bataillons.

La proportion de mousquetaires ou arquebusiers et de piquiers va rapidement passer d’une majorité de piques vers 1600 à deux tiers d’armes à feu dans les années 1620. En 1600, une compagnie wallonne de 200 hommes compte déjà 50 piquiers, 50 mousquetaires et 100 arquebusiers. En France, la proportion de piques, qui était de l’ordre de 7 piques pour 3 mousquets dans les vieux régiments, va diminuer à partir de 1610.  À cette époque, Jérémie de Billon rapporte que quelques étrangers observaient qu’ayant de vieux soldats, les deux tiers étaient piquiers et l’autre tiers mousquetaires. Et si c’étaient nouveaux soldats, les deux tiers étaient mousquetaires et l’autre tiers était piquiers. Dans le même temps, Du Praissac affirme que la force de l’infanterie à la campagne est la pique, & aux forteresses est la mousqueterie : afin donc de subvenir à l’un & à l’autre, la compagnie sera composée moitié piques, moitié  mousquetaires.

Vers 1615, une compagnie suisse de 300 hommes comptait 40 mousquetaires, 15 arquebusiers et 245 piquiers (dont 50 corselets). En 1624, une compagnie suisse de 200 hommes ne compte plus que 125 piques (dont 60 corselets) pour 60 mousquets, 15 arquebuses et 3 officiers, soit un peu plus de 60% de piques. Les compagnies françaises passeront à 40 piques pour 60 mousquets vers 1630.

Selon Montgommery, tout soldat piquier doit se styler et exercer à manier dextrement une pique, laquelle doit être de dix-huit pieds. Il la portera couchée sur l’épaule, la main contre le brassal, le bout regardant le jarret de celui  qui marche devant lui, et le faire trois pieds plus haut que la tête de celui de derrière ; il faut en marchand prendre la cadence du tambour, avec le plus de grâce, et de gravité, qu’il sera possible, car la pique est une arme honorable, et qui mérite d’être portée avec geste brave et audacieux : l’espagnol l’appelle reine des armes.

Les arquebusiers et mousquetaires servent comme manches d’un bataillon, sur les flancs et le front des piquiers, mais aussi comme enfants perdus, écran de tirailleur qui se déploie sur le front de l’armée. L’arquebuse se fait de plus en plus rare dans les années 1620. En France, elle disparaît complètement en 1627, pendant le blocus de la Rochelle.

Stéphane Thion

 

Infanterie de l’Union Protestante vers 1620 (Aquarelle de K.A. Wilke)