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L’armée bavaroise à Fribourg (août 1644)

L’armée bavaroise à Fribourg (août 1644)

 

Depuis le début de la guerre de Trente Ans, les Bavarois ont formé le coeur des armées de la Ligue Catholique[1]. À la mort de Tilly, au printemps 1632, les unités bavaroises seront absorbées par l’armée impériale de Wallenstein et de ses successeurs. Après la bataille de Nördlingen, en 1634,  une armée à forte dominante bavaroise réapparait peu à peu, comme le corps de Götz qui combattra en 1638 à Rheinfelden. Cette année-là, Mercy prendra le commandement d’une armée exclusivement bavaroise.

L’organisation de l’armée bavaroise est comparable à celle de l’armée impériale. L’infanterie est composée de régiments comptant de 8 à 13 compagnies de théoriquement 200 à 300 hommes alors que la cavalerie est formée en régiments comptant 5 à 10 compagnies de 100 chevaux. Un régiment d’infanterie peut donc réunir, sur le papier, de 1500 à 4000 hommes alors qu’un régiment de cavalerie peut compter de 500 à 1000 hommes. En pratique, ce n’était bien sûr jamais le cas. Les compagnies d’infanterie du feldmarschall Götz comptent ainsi, en 1638, entre 45 à 150 hommes, soit une centaine d’hommes en moyenne. De même, en 1642, les compagnies d’infanterie de l’armée de Mercy comptent 70 à 120 hommes. Pour la cavalerie, l’effectif réel des compagnies est plus proche de son niveau théorique. Il est ainsi de 90 hommes en 1640 et 93 ou 100 hommes à différentes dates de l’année 1642.

L’encadrement d’une compagnie d’infanterie est particulièrement fourni, les hommes du rang comptant pour moins des deux tiers de l’effectif. Ainsi, une compagnie du régiment Wahl en garnison à Ingolstadt compte, le 3 juin 1644 : un hauptmann (capitaine), un lieutenant, un fähnrich (enseigne), un feldwaibel (sergent), un feldwaibel réformé, un lehrer (précepteur), un furier (fourrier), un musterchreiber (secrétaire), un feldscherer (barbier), 6 corporäle (caporaux), 3 trommelschläger (tambours), 5 leib und fourierschützen (fourriers), 13 gefreite (soldats de première classe) et 64 soldats faisant en tout 100 hommes.

La répartition entre piquiers et mousquetaire est comparable à ce qui se pratique dans les armées impériales, soit un tier de piques pour deux tiers de mousquets. Raimondo Montecuccoli , le futur grand adversaire de Turenne, affirme d’ailleurs que « les régiments d’infanterie (impériaux) sont composés, les deux tiers de mousquetaires et un tiers de piquiers ». Il ajoute que l’on « ne se sert plus d’arquebuses dans les troupes allemandes, parce que le mousquet porte plus loin, et que l’homme qui porterait une arquebuse peut porter un mousquet ». La pique, longue de quinze à dix-sept pieds (de 4,5 à 5 mètres), est considérée comme l’arme reine de l’infanterie.

Infanterie bavaroise, années 1630 (Aquarelle de K.A. Wilke)

Contrairement à son homologue française, la cavalerie bavaroise a gardé la distinction entre cuirassiers et arquebusiers à cheval. À ces deux armes s’ajoutent les dragons, plus polyvalents. Quatre régiments de cuirassiers, trois d’arquebusiers à cheval et deux de dragons seront ainsi alignés à Fribourg.

Montecuccoli décrit les cuirassiers comme « armés aujourd’hui de demi-cuirasses, qui ont le devant et le derrière, de bourguignottes composées de plusieurs lames de fer attachées ensemble par derrière et aux côtés pour couvrir le col et les oreilles, et de gantelets, qui couvrent la main jusqu’au coude. Les devants de cuirasse doivent être à l’épreuve du mousquet, et les autres pièces à l’épreuve du pistolet et du sabre. Leurs armes offensives sont le pistolet et une longue épée qui frappe d’estoc et de taille ». Les arquebusiers à cheval sont théoriquement moins bien protégés mais ajoutent l’arquebuse à leur armement : « Les arquebusiers ou carabiniers ne peuvent faire un corps solide, ni attendre de pied ferme le choc de l’ennemi, parce qu’ils n’ont point d’armes défensives : c’est pourquoi il ne serait pas à propos d’en avoir un grand nombre dans une bataille, parce qu’on ne saurait les placer qu’ils ne causent de la confusion en tournant le dos. Comme leur emploi est de tourner en caracolant, et de faire leur décharge, puis de se retirer si l’ennemi les presse par derrière et qu’ils se retirent si vite que cela ait l’air de fuite, ils ôtent le courage aux autres, ou bien ils les heurtent, et se renversent sur eux. C’est ce qui détermina Wallenstein général, des troupes de l’Empereur, de les proscrire de l’armée après la funeste expérience qu’il en fit à la bataille de Lutzen l’an 1632 ». Enfin, les dragons « ne sont autre chose que de l’infanterie à cheval armée de mousquets légers, un peu plus courts que les autres, de demi-piques et d’épées, pour se saisir d’un poste en diligence, et pour prévenir l’ennemi dans un passage. On leur donne pour cela des hoyaux et des pelles. On les met à cheval au milieu et dans les vides des bataillons pour tirer de là par dessus les autres ; d’ailleurs ils combattent d’ordinaire à pied ».

Ci-dessus : cuirassiers et étendards de cavalerie bavaroise (aquarelle de K.A. Wilke)

En juillet 1644, l’armée du feldmarschall[2] von Mercy compte près de 16 000 hommes dont 8 500 à 9 000 fantassins sous Ruischenberg, 7 à 8 000 cavaliers sous Jean de Werth et 28 canons. Son infanterie compte onze régiments totalisant 94 compagnies : Wahl, Mercy,  Ruischenberg[3], Hasslang, Gold, Holz, Winterscheid, Miehr, Rouyer, Fugger et Entschering.

Sa cavalerie compte, le 18 juillet 1644, quatre régiments de cuirassiers (Mercy, Gayling, Kolb, et Lapierre), trois régiments d’arquebusiers à cheval (de Werth, Sporck et Cosalky), et deux régiments de dragons (Wolf et Kurnreuter).

 

L’armée bavaroise de Mercy à la bataille de Fribourg

Infanterie :                                                                         Effectif le 18 juillet 1644

Régiment de Wahl                        6 compagnies         705 hommes

Régiment de Mercy                    10 compagnies       1031 hommes

Régiment de Ruischenberg       11 compagnies       917 hommes

Régiment d’Hasslang                   8 compagnies         741 hommes

Régiment de Gold                         8 compagnies         1064 hommes

Régiment d’Holz                           8 compagnies         977 hommes

Régiment de Winterscheid         8 compagnies         951 hommes

Régiment de Miehr                      9 compagnies         850 hommes

Régiment de Rouyer                    8 compagnies         862 hommes

Régiment de Fugger                     8 compagnies         900 hommes

Régiment d’Entschering             10 compagnies       929 hommes

Total au 18 juillet                                                      9 927 hommes

Effectif estimé à Fribourg                                          8 500 à 9 000 hommes

 

Cavalerie :                                                                         Effectif estimé

Régiment de cuirassiers de Mercy          8 compagnies         800

Régiment de cuirassiers de Gayling        9 compagnies         900

Régiment de cuirassiers de Kolb             8 compagnies         800

Régiment de cuirassiers de Lapierre      9 compagnies         900

Régiment d’arquebusiers de Werth        8 compagnies         800

Régiment d’arquebusiers de Sporck      10 compagnies       1000

Régiment d’arquebusiers de Cosalky      8 compagnies         800

Régiment de dragons de Wolf                   6 compagnies         600

Régiment de dragons de Kurnreuter          ?                            600

Total estimé                                                             7 200 hommes

Total déclaré                                                            9 713 hommes

 

Artillerie : 4 demi-canons de 24 livres, 5 demi-couleuvrines de 12 livres, 8 faucons de 5 livres, 3 fauconneaux de 3 livres et 3 mortiers.

[1] La Ligue catholique ou Sainte Ligue catholique est une alliance militaire des États allemands catholiques. Elle fut fondée en 1609 par le duc Maximilien de Bavière.

[2] Grade équivalent au Maréchal français.

[3] Ou Reischenberg.

 

Stéphane Thion

 

L’armée française à Fribourg (août 1644)

L’armée française à Fribourg (août 1644)

 

L’armée française en 1644

Au commencement de la campagne de 1644, l’infanterie royale se compose de 166 régiments, dont 31 sont étrangers. Les régiments français comptent alors généralement 20 compagnies de 70 hommes (à l’exception des gardes françaises dont les 30 compagnies sont à 200 hommes). Quinze régiments comptent 30 compagnies alors que 43 régiments comptent entre 4 et 15 compagnies. L’effectif théorique de 1400 hommes pour 20 compagnies ne sera pratiquement jamais atteint. Il est en effet rare de voir des bataillons compter plus de 800 hommes une fois la campagne commencée.

L’ordonnance du 18 octobre 1643 sur les quartiers d’hiver prescrit donc que les régiments ayant moins de 20 hommes par compagnie devront, à la fin de la campagne, être licenciés. C’est ainsi que les régiments de Nangis, de Souvigny, du Ferron, de Roqueservière, de Clermont-Vertillac, de Sivron, de l’Église, de la Mezangère, de Grammont, de Croissy et de Thorigny disparaissent. Les vieux corps[1] pourront conserver toutes leurs compagnies mais, pour les autres, on ne devra maintenir sur pied que les compagnies suffisamment fortes. Les officiers concernés par ces suppressions se verront notifier leur congés alors que sergents et soldats seront incorporés dans les anciens régiments ou dans les compagnies maintenues. Enfin, durant l’hiver, les capitaines devront rétablir l’effectif de leur compagnie à 70 hommes, qu’elles soient d’infanterie ou de cavalerie. Ainsi, l’ordonnance du 20 décembre 1643 prescrit que les Maîtres de camp, Capitaines et Officiers s’obligeront de « rendre leurs compagnies complètes de soixante dix hommes chacune, armés pour l’infanterie les deux tiers de mousquetaires, et le tiers de piques ; et pour la cavalerie chaque cavalier du pot[2], de cuirasse devant et derrière, et de deux pistolets ». Tous les officiers devront être présent avant la campagne de 1644, c’est à dire au 15 février.

Le 19 juillet 1644, Le Tellier écrira à Turenne que son infanterie « se trouve faible par la mauvaise foi du colonel et l’avarice des officiers français ». Il ajoute : « Il faut que je vous avoue ingénument qu’il est tout à fait difficile de vous fortifier de nouveaux corps, puisque la dépense que nous avons faite pendant l’hiver pour y parvenir, se trouve si mal employée ; si vous ne vous résolvez, monsieur, à faire quelque démonstration de sévérité contre les officiers, commençant par ceux de vos régiments, et celui de monsieur votre neveu, comme ayant été les mieux traités, ce sera encore pis à l’avenir ».

L’encadrement d’une compagnie d’infanterie comprend un capitaine, un lieutenant, un enseigne ou sous-lieutenant, deux sergents armés de hallebardes, trois caporaux, trois anspessade[3] et un tambour. Les caporaux et les anspessades ont l’armement des soldats qu’ils commandent.

La cavalerie se forme théoriquement, depuis janvier 1638, en régiments de 8 compagnies de chevau-légers et une compagnie de mousquetaires. En réalité, les régiments sont plus souvent à de 5 à 6 compagnies de 70 hommes, rarement 8. La réalité et la théorie font rarement bon ménage. Ainsi, en 1639, le régiment d’Alais compte 11 compagnies dont une de mousquetaires, les régiments de la Ferté-Imbaut et de Gesvres, 8 compagnies dont deux de mousquetaires, les régiments de Guiche et de Brouilly, 9 compagnies dont deux de mousquetaires, le régiment de Cursol, seulement 6 compagnies.

Les compagnies de Gendarmes, sont dites « franches », c’est à dire qu’elles ne sont pas enrégimentées.

Les compagnies, à l’exception des gendarmes, sont de 70 maîtres, qui doivent être équipés, début 1644, « chaque cavalier du pot, de cuirasse devant et derrière, et de deux pistolets ». Il s’agit là bien sûr d’un vœu pieu, régulièrement invoqué par les ordonnances royales. L’ordonnance du 14 juillet 1636 insistait déjà pour que « les gens de cheval aient la cuirasse pour le moins ». Cette mauvaise habitude d’alléger l’équipement va se poursuivre puisque l’ordonnance d’octobre 1642 rappelle une fois de plus que « les capitaines de cavalerie seront obligés d’avoir leurs soldats armés chacun d’une cuirasse, d’un pot, et deux pistolets, le tout en bon état ». À cette époque, c’est l’état qui fournit cet équipement, comme le souligne Sirot en 1642 : « Les recrues se firent en moins d’un mois, et les cavaliers se trouvant du nombre qu’on le désirait, le maréchal de Guiche me fit délivrer les armes pour les armer, que je distribuai à tous les régiments ; mais il ne s’y trouva que pour armer 2 000 chevaux, et il en restait encore 1 000 qui étaient sans armes ». L’écart entre la théorie et la pratique n’est pas anecdotique. Ainsi, fin 1639, sur les onze compagnies de chevau-légers du régiment Colonel, quatre sont armées[4], une en partie armée et six non armées. Sur les six compagnies de chevau-légers du régiment de Gesvres, deux sont non armées. Le régiment de la Ferté-Imbaut, plus épargné, n’a qu’une compagnie de chevau-légers non armée sur les six. La situation est encore plus « critique» pour les régiments étrangers : Les régiments de L’Eschelle et de Fittingost ont tous les deux six compagnies, toutes non armées.

Depuis Sully, l’artillerie comprend six modèles : le canon avec boulet de 33 livres, qui peut tirer jusqu’à 1500 pas[5], la grande couleuvrine avec boulet de 16 livres, la bâtarde avec boulet de 7 livres et demi, la moyenne avec boulet de 2 livres et demi, le faucon avec boulet d’1 livre et demi et le fauconneau avec son boulet de trois-quarts de livre. Dès 1635, l’artillerie française va bénéficier des enseignements de ses alliés suédois. L’infanterie utilisera les canons légers de type fauconneaux en plus grand nombre. À Fribourg, l’armée de Champagne compte ainsi deux demi-canons et quinze fauconneaux alors que l’armée d’Allemagne compte six demi-canons et quatorze fauconneaux. Les fauconneaux, pièces maniables, ont l’avantage de pouvoir progresser au même rythme que l’infanterie, la précédant d’un feu destructeur. Cette arme, bien que fragile, a l’intérêt d’être manœuvrable par un seul cheval tout en ayant une portée de 1000 pas. Depuis 1634, le maréchal de La Meilleraye est grand maître de l’artillerie. Le marquis de Chouppes sera son lieutenant-général à l’armée de Champagne.

Le 8 novembre 1643, les commissaires et contrôleurs des guerres reçurent l’ordre de faire prêter serment de « bien et fidèlement servir Sa Majesté et la Reine Régente sa mère, sous la charge et autorité de Monseigneur le duc d’Orléans, lieutenant-général représentant la personne de Sa Majesté et en son absence de ceux qui commanderont lesdits gens de guerre. »

Les troupes du duc d’Enghien forment le cœur de l’armée de Champagne. Elles comprennent à l’origine le régiment d’Enghien, 20 compagnies levées en 1635, puis le régiment de Conti et le régiment de Persan. S’y ajoutent les régiments de cavalerie : le régiment d’Enghien, quatre compagnies de gendarmes et une compagnie de chevau-légers levées entre 1634 et 1636. D’autres unités seront ajoutées en 1643 et 1644 à l’armée de Champagne : les régiments d’infanterie Mazarin-français[6], Bussy, Le Havre, Fabert, Guiche et Desmarets (ces derniers étant liégeois) ; les régiments de cavalerie Mazarin, Guiche, Beauveau et L’Eschelle, les deux derniers étant liégeois.

Le cœur de l’armée d’Allemagne de Turenne est composée de troupes weimariennes de feu Bernard de Saxe-Weimar, passées au service de la France en 1635. Elles sont formées de trois régiments d’infanterie (Hattstein, Bernhold et Schmidtberg), sans compter les unités en garnison, et onze régiments de cavalerie (Baden, Berg, Erlach, Fleckenstein, Kanoffsky, Alt-Rosen, Neu-Rosen, Russwurm, Sharfenstein, Taupadel et Wittgenstein). À ces troupes allemandes vont s’ajouter sept régiments d’infanterie française (Aubeterre, Du Tot, La Couronne, Mazarin-italien, Melun et Montausier) et trois régiments de cavalerie (Guebriant, Tracy et Turenne).

L’armée française à Fribourg

L’armée française qui va affronter son adversaire bavarois à Fribourg n’a rien de prestigieuse : aucun vieux corps parmi les régiments d’infanterie, ni gardes françaises ni gardes suisses. Mais elle est constituée d’unités de vétérans. La plupart des régiments  sont cependant des régiments permanents, ayant plusieurs campagnes à leur actif. Il en est de même des régiments de cavalerie. Et surtout, l’armée de Turenne est constituée de ce qui se fait de mieux en Allemagne : les régiments weimariens de feu Bernard de Saxe-Weimar.

En 1644, alors qu’il prend en charge le commandement de l’armée d’Allemagne, le vicomte de Turenne fait « remonter à ses dépends 5 000 cavaliers et habiller 4 000 fantassins ». Il lui faut en effet remettre sur pied cette armée qui avait beaucoup souffert l’année précédente. Il la réorganise à sa main, comme il l’écrit à Mazarin le 29 février : « Je ne veux pas de tous ces maréchaux de camp servant par jour, l’un défaisant ce que l’autre a fait, mais quatre généraux majors, deux attachés à la cavalerie, deux à l’infanterie ». Il prend comme lieutenant-général, « pour commander sous le maréchal de Turenne en la manière que M. de Guébriant commandait sous le duc Bernard », d’Aumont, au détriment de Taupadel.

Pour la campagne qui s’annonce, son armée s’établira en réalité à 10 000 hommes dont 5 000 gens de pied, 5 000 chevaux et une vingtaine de pièces d’artillerie. L’armée du duc d’Enghien présente un effectif comparable : 10 000 hommes dont 6 000 gens de pied, 4 000 chevaux, et 17 canons.

L’infanterie du duc d’Enghien compte neuf régiments – Persan, Enghien, Conti, Mazarin-français, Le Havre, Bussy, Fabert, Guiche, Desmarets, ces deux derniers liégeois – alors que l’infanterie de Turenne compte six régiments français – Montauzier, Melun, la Couronne, Mazarin-italien, Aubeterre, du Tot – et trois régiments weimariens – Hattstein, Bernhold et Schmidtberg.

La cavalerie du duc d’Enghien comprend ses gardes, les compagnies de gendarmerie Enghien, Condé, Conti et Guiche, les régiments de cavalerie Enghien, Guiche, Cardinal Mazarin, Mazarin français, L’Eschelle, Beauveau (tous deux liégeois) et des compagnies de chevau-légers franches. La cavalerie de Turenne comprend les régiments français de Turenne, de Guébriant, et de Tracy ainsi que onze régiments weimariens – Rosen (Alt-Rosen et Neu-Rosen c’est à dire l’ancien et le nouveau régiment de Rosen), Fleckenstein, Berg, Baden, Wittgenstein, Russwurm, Scharfenstein, Erlach, Taupadel et Kanoffsky.

Le marquis de Chouppes commande l’artillerie du duc d’Enghien en tant que lieutenant général. Ayant pris ses fonctions, il commence par ordonner une revue des officiers et chariots de l’artillerie. Il obtient à la mi-juillet, grâce au soutien de Mazarin contre le duc d’Enghien, la préséance des commandants de l’artillerie sur les sergents de bataille. L’artillerie des armées réunies comporte alors près de 40 pièces d’artillerie bien fournies en munitions diverses.

Au sein de l’armée de Champagne, d’Espenan, le comte de Tournon et Palluau sont maréchaux de camp[7]. Le maréchal de Castelnau-Mauvissière et Mauvilliers (ou Mauvilly), lieutenant des chevau-légers d’Enghien, sont maréchaux de bataille[8].

[1] Les vieux corps désignaient les six plus anciens régiments français, formés dans la seconde moitié du XVIe siècle : Picardie, Piémont, Champagne, Gardes françaises, Navarre, Normandie, ce dernier formé en 1616.

[2] C’est à dire d’un casque de cavalerie appelé aussi capeline.

[3] Anspessade ou lancepessade : terme provenant de l’italien lancia spezzata, signifiant « lance brisée ». En France, ce grade fut créé en janvier 1508 : Louis XII institua ainsi douze places de lancepessades dans les bandes du Piémont. Ces places étaient réservées à la noblesse dans le but de l’attirer dans les rangs de l’infanterie. C’est ainsi que des cadets de Gascogne ou des gens d’armes ruinés acceptèrent de servir à pied.

[4] C’est à dire que les cavaliers sont équipés du pot et de la cuirasse.

[5] Le pas est une unité de longueur datant des Romains. Un pas mesurait alors 2,5 pieds soit environ 75 centimètres.

[6] En plus de son régiment de cavalerie, le cardinal Mazarin leva plusieurs régiments d’infanterie, dont deux, Mazarin-français et Mazarin-italien étaient présents à Fribourg.

[7] Les maréchaux de camp organisaient le campement et le logement de l’armée, en concertation avec le général de l’armée. Pendant la bataille, les maréchaux de camp commandaient un des corps de l’armée ‘une des ailes ou la réserve).

[8] Le maréchal de bataille est une fonction créée à la fin du règne de Louis XIII (vers 1643). Sa principale fonction est de mettre l’armée en bataille en fonction du plan décidé. En pratique, il était secondé par des sergents de bataille.

 

L’apparition d’une nouvelle formation : la brigade

La première moitié du XVIIe siècle est emblématique de l’évolution de l’organisation tactique de l’infanterie. C’est effectivement au début du siècle qu’apparaît la brigade en tant que formation tactique.

Durant le XVIe siècle, l’infanterie se groupe en gros bataillons de 3 à 6 000 hommes qui prennent la forme de carrés : carrés d’hommes, c’est à dire présentant autant d’hommes de front que de côté (50 files sur 50 rangs pour un bataillon de 2500 hommes) ou carrés de terrain, c’est à dire que les hommes occuperont une surface au sol carrée, (150 par 150 pieds par exemple). Le commandement reste relativement centralisé et, malgré l’apparition dans les armées françaises de lanspessades en 1508, puis de caps d’escadres – ancêtres des caporaux – sous François Ier, les chefs d’armée ne prennent pas le risque de diviser ces formations en unités autonomes plus manœuvrables. Il faut attendre Condé et Coligny pour voir apparaître, comme à la bataille de Saint-Denis en 1567, des petites formations indépendantes de 500 hommes. Henri IV reprendra cette vision tactique et la poussera encore plus loin. En 1590, pour la bataille d’Ivry, il aligne son infanterie par petites unités de 500 hommes, mais chaque bataillon de 500 piquiers suisses ou lansquenets est encadré par deux bataillons de 500 arquebusiers français. Et la tactique inter-arme est poussée encore plus loin : entre chacune de ces formations de trois bataillons est intercalée un escadron de cavalerie. Ni Jacques-Auguste de Thou[1], dans son Histoire Universelle, ni les autres historiens ne donnent de nom particulier à ces formations d’infanterie. « Chaque escadron avait sur ses flancs un corps d’infanterie pour le couvrir, et était précédé par quelques aventuriers », écrit simplement de Thou. Davila[2], dans son Histoire des guerres civiles en France, est encore plus laconique sur le sujet : « A chaque escadron il joignit un bataillon, qui par une grêle d’arquebusades, devait soutenir la cavalerie, éclaircir les rangs ennemis ».

À l’initiative de Maurice Nassau, les guerres de Hollande voient l’utilisation de petits bataillons de 400 à 600 hommes résolument inter-armes. À la différence de ceux d’Henri IV, les bataillons de Maurice de Nassau mêlent piquiers et mousquetaires. Le terme de brigade n’est pas encore utilisé mais on observe que les bataillons sont regroupés principalement par paires. Le déploiement de l’armée du prince d’Orange, à Juliers[3] en 1610, montre bien que les bataillons sont groupés par deux. Les Danois imiteront quinze ans plus tard ces dispositions en déployant leur armée, en 1625, sur le même modèle : les bataillons sont groupés deux par deux et placés en losange.

Avec le retour de la paix, les vingt premières années du XVIIe siècle voient la publication de traités militaires s’appuyant sur les expériences des guerres de religion française et hollandaise : « L’art militaire pour l’infanterie » de Jean-Jacques Walhausen[4], publié en 1615 ; « Les principes de l’art militaire » de Jérémie de Billon[5], écrit en 1608, et les « Discours militaires » du sieur du Praissac publié en 1614 en sont quelques exemples. Ces trois auteurs prônent l’utilisation de petits bataillons de moins de 1000 hommes alignés sur un maximum de 10 rangs. Pour Billon, ces bataillons seront groupés par trois : « L’on fera trois bataillons, dont il y en aura deux en face qui sembleront n’être qu’un corps, et un autre derrière ces deux là. (…) Ou bien on mettra un bataillon seul en front et deux autres derrière ». Walhausen et Du Praissac présentent comment un régiment, qui reste une unité administrative, peut être décomposé en plusieurs bataillons. Mais aucun de ces auteurs n’emploient encore le terme de brigade. Cette nécessité ne s’impose pas encore puisque en pratique, il s’agira de scinder un régiment en deux ou trois bataillons.

Cette désignation va apparaître une dizaine d’années plus tard chez les Suédois et les Français. Les premiers vont tout d’abord, entre 1617 à 1621, organiser leurs régiments en escadrons, terme équivalent au bataillon français. Puis, en 1627, Gustave Adolphe va regrouper ces escadrons en brigades, une brigade pouvant rassembler des escadrons provenant de plusieurs régiments. Ces brigades réuniront trois escadrons entre 1627 et 1628, puis quatre escadrons, avant de revenir à trois entre 1631 et 1634. La taille de ses brigades va rapidement se réduire puisqu’en 1642 une brigade ne compte plus qu’un régiment, soit 8 à 16 compagnies d’infanterie.

Sous l’impulsion de Wallenstein, les Impériaux vont suivre l’exemple puisqu’ils formeront, en 1633, six brigaden réunissant chacune trois ou quatre régiments, soit 23 à 37 compagnies par brigade. En ce sens, les pratiques impériales diffèrent de celles des Suédois car, comme l’écrira plus tard Montecuccoli[6], « de plusieurs escadrons et bataillons, se forment les corps ou les grands membres de l’armée qu’on appelle Brigades. Des brigades ont fait, l’avant-garde, le corps de bataille, l’arrière-garde qui marchent devant, au milieu, derrière ». Pourtant, à l’image des pratiques suédoises, ou par nécessité, la taille des brigades impériales va se réduire avec le temps. À la seconde bataille de Breitenfeld, en 1642, les brigades d’infanterie impériales ne compteront plus que 10 à 12 compagnies d’infanterie soit l’équivalent d’un régiment.

L’armée française adoptera la brigade probablement un peu avant 1628. Jacques Callot[7] nous a laissé une représentation de l’armée royale devant La Rochelle, cette année là : l’infanterie est formée en losanges dont chaque sommet est formé de groupes de deux bataillons. Il s’agit là de la formation utilisée par les Hollandais en 1610 et par les Danois en 1625. En France, le terme de brigade, pour désigner ces groupes de bataillons, apparaît au plus tard en 1629. Ainsi, cette année là, au siège de Privas, Champagne et Piémont forment brigade. Une brigade ne sera pas formée systématiquement de deux bataillons puisqu’à la bataille de Thionville, en 1639, une brigade est constituée de trois bataillons, deux provenant du régiment de Navarre et le troisième du régiment de Beauce. Cette notion de brigade n’est pourtant pas encore claire pour tout le monde. Ainsi le terme brigade a été utilisé, notamment par Louis XIII, pour désigner les deux divisions formées en 1635 par les maréchaux Châtillon et Brézé au sein de l’armée de Picardie. Il s’agira là d’un excès de langage pour désigner ce partage, non souhaité par le Roi, de l’armée en deux parties. Chacune de ces deux brigades est alors composée d’un nombre important de régiments et de compagnies de cavalerie : 10 à 12 régiments d’infanterie faisant chacun un bataillon et 26 compagnies de cavalerie formant 15 escadrons. Chacune des deux brigades est désignée soit par le nom du maréchal qui la commande, soit par le nom du vieux corps autour duquel elle a été formée. Au sein de cette armée, et avant l’année 1641, apparaît alors le grade de sergent-major de brigade d’infanterie.

L’année 1644 se distingue par l’utilisation systématique de la brigade d’infanterie au sein de l’armée française. Cette année là, les sources écrites nous listent les brigades de deux ou trois bataillons formées pour la bataille de Fribourg : la brigade d’Espenan composée des régiments Enghien et Persan ; la brigade Tournon composée des régiments Conti et Mazarin-français ; la brigade Marsin composée des régiments Le Havre et Bussy ; une quatrième brigade composée des régiments Guiche, Desmarets et Fabert ; la première brigade française de Turenne composée des régiments de Tot et d’Aubeterre ; la seconde brigade de Turenne composée des régiments La Couronne et Montausier ; la troisième brigade de Turenne composée des régiments Mazarin-italien et Melun ; enfin, les régiments weimariens d’Hattstein, de Bernhold et de Schmidtberg (ou Schönbeck) forment, si l’on en croit une lettre de Turenne à d’Erlach (datée du 30 juillet), deux brigades. Ils n’en formeront plus qu’une par la suite. La cavalerie, pour sa part, n’utilise pas encore la formation en brigades.

La brigade ne deviendra une formation permanente, et non plus un groupement temporaire, qu’en 1668. Par l’ordonnance du 27 mars de cette année seront créés les brigadiers d’infanterie dont le rôle est de commander les brigades.

[1] Jacques-Auguste de Thou (1553-1617), historien, écrivain et homme politique, auteur d’une Histoire universelle depuis 1543 jusqu’en 1607.

[2] Enrico Caterino Davila (1576-1631) était un italien au service d’Henri IV. Il est l’auteur d’une Histoire des guerres civiles de France depuis la mort de Henri II jusqu’à la paix de Ferrois (1598).

[3] Juliers, ou Jülich en Allemand, est une ville située en Rhénanie-du-Nord (Allemagne). La mort de Jean-Guillaume, duc de Juliers, Clèves et Berg, en 1609, donna lieu à un conflit armé. La Guerre de Succession de Juliers pris fin en 1614 par la signature du traité de Xanten.

[4] Johann Jacob von Walhausen (c. 1580-1627) était un écrivain militaire allemand. Il avait prévu de publier un recueil sur l’art militaire en six parties, traitant de l’infanterie, la cavalerie, l’artillerie, les tactiques, les fortifications et les guerres navales. Il mourra avant d’achever son oeuvre.

[5] J. de Billon, seigneur de Prugne. Il entre à l’armée en 1594. Trois ans plus tard, Henri IV le nomme lieutenant du régiment de Chappes, régiment qui prendra le nom de Nerestang à partir de 1631. Ses Principes de l’Art Militaire étaient destinés à tous les jeunes écoliers d’armes du royaume.

[6] Raimondo, comte de Montecuccoli (1609-1680), né à Modène, fut un des grands capitaines du XVIIe siècle. Il sera général des troupes impériales, et adversaire de Turenne entre 1673 et 1675. Il est l’auteur des Memorie della guerra.

[7] Jacques Callot (1592-1635) était un dessinateur et graveur lorrain. On lui doit notamment les Grandes Misères de la guerre, tableaux saisissant de la guerre de Trente Ans.

 

L’armée de Champagne et l’armée d’Allemagne

Armée de Champagne (Enghien et de Guiche) :

Régiments d’infanterie :                                                               Effectif estimé

Enghien                       30 compagnies de 70 hommes             800 hommes

Persan                          30 compagnies de 70 hommes             800 hommes

Conti                             30 compagnies de 70 hommes             800 hommes

Mazarin                        30 compagnies de 70 hommes             800 hommes

Le Havre                       20 compagnies de 70 hommes             800 hommes

Bussy -Lameth             20 compagnies de 70 hommes             800 hommes

Guiche (liégeois*)       20 compagnies de 70 hommes             400 hommes

Desmarets (liégeois*) 10 compagnies de 100 hommes           400 hommes

Fabert                             20 compagnies de 70 hommes             400 hommes

Total estimé                                                                                  6000 hommes

 

Régiments de Cavalerie :

Gardes d’Enghien                                                                       200 chevaux

Gendarmes d’Enghien                          4 compagnies            600 chevaux

Chevau-légers d’Enghien                      1 compagnie              150 chevaux

Gendarmes de la Reine**                     1 compagnie               150 chevaux

Régiment de cavalerie Enghien             6 compagnies (?)    400 chevaux

Régiment de cavalerie Mazarin             6 compagnies (?)    600 chevaux

Régiment de Guiche                             10 compagnies          600 chevaux

Régiment liégeois de L’Eschelle*                                           600 chevaux

Régiment liégeois de Beauveau*                                            600 chevaux

Compagnies franches de chevau-légers                                     ?

Total estimé :                                                                              4000 chevaux

 

* Les fantassins et cavaliers de Marsin n’apparaissent pas distinctement à Fribourg. Il semble que ces hommes, 1200 cavaliers et 800 fantassins, aient formés les régiments de cavalerie L’Eschelle, et Beauveau, et d’infanterie Guiche et Demarets. Mais rien n’est plus sûr, la Gazette de France listant le régiment d’infanterie de Guiche et les régiments de cavalerie de L’Eschelle et de Beauveau parmi ceux envoyés à la rencontre de Marsin, en pays liégeois.

** Lettre de Mazarin au duc d’Enghien, du 11 juin 1644

Artillerie : 2 demi-canons et 15 fauconneaux

Armée d’Allemagne (Turenne et Rosen)

Infanterie :                                                                                   Effectif estimé

Aubeterre                  20 compagnies de 70 hommes             500 hommes

La Couronne             20 compagnies de 70 hommes             500 hommes

Mazarin-italien        12 compagnies de 100 hommes            500 hommes

Montausier               20 compagnies de 70 hommes             500 hommes

Melun                        20 compagnies de 70 hommes             500 hommes

Du Tot                       20 compagnies de 70 hommes             500 hommes

Schmidtberg           5 ou 6 compagnies de 100 hommes      500 hommes (weimariens)

Hattstein                5 ou 6 compagnies de 100 hommes      500 hommes (weimariens)

Bernhold                5 ou 6 compagnies de 100 hommes      500 hommes (weimariens)

Total estimé                                                                           5 000 hommes

 

Le reste de l’infanterie weimarienne est à Brisach, avec d’Erlach

Une source (une version de l’Histoire du vicomte de Turenne de Ramsay), cite le régiment de Mézières, en brigade avec le régiment de Montausier. Ce régiment n’apparait dans aucune source et n’a en réalité jamais existé. Par contre, lors de sa jonction avec Marsin, en pays liégeois, Enghien avait emmené avec lui « 400 hommes commandés des garnisons de Sedan, Mézières et Charleville », d’où la confusion possible. La brigade Montausier était donc uniquement composée des régiments Montausier et La Couronne.

 

Cavalerie :                                                                                       Effectif estimé

Régiment de Turenne                                                               400 chevaux

Régiment de Guébriant                                                            250 chevaux

Régiment de Tracy                                                                    300 chevaux

Régiment Alt-Rosen (weimarien)                                          400 chevaux

Régiment Neu-Rosen (weimarien)                                        350 chevaux

Régiment de Baden (weimarien)                                           400 chevaux

Régiment de Berg (weimarien)                                              350 chevaux

Régiment d’Erlach (weimarien)                                             400 chevaux

Régiment de Fleckenstein (weimarien)                                350 chevaux

Régiment de Kanoffsky (weimarien)                                     350 chevaux

Régiment de Russwurm (weimarien)                                    350 chevaux

Régiment de Scharfenstein (weimarien)                              350 chevaux

Régiment de Taupadel (weimarien)                                      400 chevaux

Régiment de Witgenstein (weimarien)                                 350 chevaux

Total estimé                                                                            5 000 chevaux

Artillerie : 6 demi-canons et 14 fauconneaux

 

Ci-dessus : Cavalerie (et infanterie) weimarienne (Aquarelle de K.A. Wilke)

 

 

 

Stéphane Thion