L’armée espagnole à la bataille d’Avins (1635)

L’armée espagnole à la bataille d’Avins (1635)

Selon le Mercure Français, l’armée espagnole de Flandre comptait, à la mi-1634, 23 000 hommes de pied et 7 000 chevaux. L’infanterie était composée de quatre régiments d’Espagnols des Maîtres de camp Alonso Ladron, Marquis de Celade, Dom Francisco Capate, et dix compagnies d’Espagnols nouvellement venus d’Espagne, comptés pour un quatrième régiment ; trois régiments d’Italiens des Maîtres de camp duc Doria, marquis Sfondrato, dom Andrea Cantelmo ; sept régiments de Wallons des Maîtres de camp les comtes de Fresin et de Fontaine, le sieur de Ribaucourt, le baron de Wesemal, les sieurs de Triest, de Custrines & de Crequy ; quatre régiments de hauts Allemands des comtes d’Isembourg, de Hoochstrate, du colonel Rouvrois (ou Rouvroy) & du prince de Barbançon ; deux régiments de bas Allemands du marquis de Lede et du colonel Brion ; un régiment d’Anglais du Maître de camp Tresan ; et deux régiments d’Irlandais du comte de Tirconel et de dom Eugenio Onel, qui faisaient en tout vingt- trois régiments. La cavalerie qui était sous la charge du comte de Nassau, était composée de soixante huit compagnies, & des cinq régiments des comtes Buquoy, d’Isembourg, de Salms, du marquis de Celade et du prince Barbançon. En juillet 1634, le marquis d’Aytonne demande au prince Thomas de lever de l’infanterie et de la cavalerie.

Le corps du prince Thomas de Savoie qui va affronter l’armée française ne comptait qu’une partie de ces forces : 10 000 fantassins en 120 enseignes, 3 000 chevaux en 45 cornettes et 16 canons selon Richelieu, 8 000 fantassins et 2 000 chevaux selon Gualdo Priorato. Le comte de Feira en était maître de camp général, le comte de Buquoy y commandait la cavalerie et le comte d’Hoochstrate, l’infanterie. Si on en croit le Mercure Français, les meilleurs régiments ne faisaient pas partie de ce corps puisque, après la bataille, le Cardinal Infant s’était retranché le long du Demer vers Tillemont, avec une armée composée des restes de celle du Prince Thomas, et de ses autres forces où étaient les meilleurs et plus vieux régiments.

La relation du Mercure Français évoque le tercio espagnol d’Alfonso de Ladron de Guevara, le tercio italien de Sfondrato, le régiment anglais de Brons, le régiment allemand d’Hoochstrate et le régiment du prince Thomas. Ce dernier régiment est probablement celui levé fin 1634 et était probablement Lorrain, le Prince ayant été colonel d’un régiment de cette origine lorsqu’il était en Savoie. J.L Sanchez, cité par Pierre Picouet, évoque aussi le régiment wallon de Frezin. Le tercio espagnol d’Alfonso de Ladron de Guevara est un vieux corps puisqu’il s’agit du tercio viejo de los Estados de Brabante.

En 1635, un tercio espagnol compte en pratique rarement plus de 1 500 hommes, même si l’effectif théorique est de 3 000 hommes. Ainsi, la montre de mai 1636 donne 166 officiers et 946 soldats pour le tercio de Ladron de Guevara. La carte de Melchior Tavernier montre 7 escadrons espagnols ce qui donnerait bien 7 à 10 000 hommes pour l’infanterie. Le tercio de Ladron de Guevara et celui de Sfondrato ont peut-être formé 3 ou 4 escadrons à eux deux.

La cavalerie comptait 45 cornettes selon Richelieu, jusqu’à 40 compagnies selon Pontis. En ne comptant ces compagnies qu’à 50 chevaux, cela nous donne un minimum de 2 000 chevaux. Tavernier a représenté 17 gros escadrons sur sa carte, ces escadrons faisant au moins le double de la taille des escadrons français. L’estimation de Richelieu, soit 3 000 chevaux, parait donc tout aussi plausible. Une bonne partie de cette cavalerie était formée par le régiment de Bucquoy. Il s’agissait probablement d’un régiment de cuirassiers à dix compagnies, faisant de 700 à 1 000 chevaux.

L’infanterie espagnole en 1635

L’Espagne dispose, à l’aube de la guerre de Trente ans, d’une infanterie qui inspire le plus grand respect. Bien commandée, solide et disciplinée, cela fait un siècle et demi qu’elle s’impose sur les champs de bataille d’Europe. Sa force principale repose sur les terribles tercios viejos.

Le tercio compte, depuis 1632, 12 compagnies de 250 hommes, ou 15 compagnies de 200 hommes pour un tercio levé en dehors de la péninsule ibérique, soit un effectif théorique de 3 000 hommes par tercio. L’ordonnance de 1632, légèrement modifiée en 1633, ne souhaite pas, sans l’interdire, que les tercios soient à 20 compagnies. En pratique certains auront jusqu’à 26 compagnies. Une compagnie au complet doit compter, selon cette ordonnance, 11 officiers (un capitaine et son page, un alférez, un enseigne ou abanderado, un sergent, deux tambours, un fifre, un fourrier, un barbier et un chapelain) et 239 soldats dont 90 coseletes (piquiers en cuirasse), 89 arquebusiers et 60 mousquetaires. Parmi les soldats, on compte 10 cabos de escuadra, c’est à dire chefs d’escadre ou caporaux. La compagnie de 200 hommes doit compter, pour sa part, 70 coseletes, 90 arquebusiers et 40 mousquetaires. Cette ordonnance prévoit aussi, pour l’état-major des compagnies, un alferez et deux sargentos (sergents) réformés, c’est à dire de remplacement. L’état-major permanent du tercio comprend 8 officiers supplémentaires : le mestre de camp, le sergent major, le capitaine de campagne, le tambour major, l’auditeur militaire, le fourrier principal, le chapelain principal et le chirurgien principal. L’ordonnance de 1632 tente par ailleurs d’endiguer la mauvaise habitude prise par les coseletes de se débarrasser de leurs cuirasses et de raccourcir leurs piques. Elle prévoit cependant que les piquiers moins biens armés ne soient pas placés aux deux premiers rangs. Cette tendance à allègement se retrouve bien sûr chez toutes les nations d’Europe.

Certains tercios sont permanents, ou fixes, comme les régiment entretenus français. Et parmi eux, les plus redoutés sont les tercios viejos. Les principaux tercios fixes de l’armée de terre sont (avec le nom de leur mestre de camp en 1635), les tercio viejo de los Estados de Flandes (Villalobos), ter-cio viejo de los estados de Brabante ( Ladron de Guevara), tercio viejo de los Estados de Holanda (marquis de Celada), tercio fijo de Napoles (Ascoli), tercio fijo de Lombardia (Aragon y Tafalla), tercio fijo de Sicilia (Toledo), tercio de Saboya (Coronado y Mendoza), et la Coronelia de la Guardia del Rey. À ces unités s’ajoutent les tercios de la Marine répartis en Espagne, à Naples et en Sicile.

Les tercios espagnols sont par ailleurs épaulés par l’infanterie des nations, provenant des territoires appartenant à la couronne d’Espagne : Flandre, Bourgogne (qui se limite, à cette époque, à la Franche-Comté), Sicile, Naples et Lombardie (limitée au Milanais). Si l’infanterie italienne et bourguignonne est organisée sur le même pied que l’infanterie espagnole, en tercios de 12 compagnies totalisant 3 000 hommes, les tercios wallons sont organisés comme les tercios espagnols des Flandres, en 15 compagnies de 200 hommes, totalisant aussi 3000 hommes. Mais chaque compagnie compte, sur le papier, 12 officiers, 46 piquiers et 142 mousquetaires. Les régiments allemands ou lorrains au service de l’Espagne comptent pour leur part 10 compagnies de 250 ou 300 hommes.

Bien sûr, il s’agit d’effectifs théoriques, correspondant à un régiment nouvellement levé ou ayant fait recrue. En pratique, les effectifs fondaient rapidement. Ainsi, pour la bataille de Nördlingen, en 1634, le tercio d’Idiaquez compte 1 800 hommes en 26 compagnies et le tercio de Fuenclara, 1 450 hommes en 17 compagnies. Le tercio napolitain de San Sivero compte 1 900 hommes en 24 compagnies, celui de Toralto, 750 hommes en 10 compagnies et celui de Cardenas, 950 hommes en 13 compagnies. Enfin le tercio lombard du prince Doria compte 1 000 hommes en 12 compagnies alors que celui de Lunato en compte 1 300 en 15 compagnies.

 (Aquarelles de K.A. Wilke)

Face à l’ennemi, les tercios se forment en escadrons (escuadrones), équivalent des bataillons français. L’escadron, qui se forme maintenant couramment à partir d’un seul tercio, se déploie dans les années 1630 sur un maximum de 12 rangs, probablement 8 ou 10 comme les bataillons français. Les piquiers forment le bloc du centre alors que les arquebusiers forment les garnisons sur les deux flancs de ce bloc. Des manches (mangas) de mousquetaires viennent alors se déployer sur les ailes de l’escadron, mais peuvent aussi opérer indépendamment. Contrairement à une idée reçue, à partir de 1635, un escadron comptera rarement plus de 1 000 hommes. Sur le terrain, rien ne le distingue donc de son homologue français, hollandais ou allemand.

La cavalerie espagnole en 1635

Si l’infanterie espagnole bénéficie d’une forte réputation, il n’en est pas de même pour la cavalerie. Et de fait, le roi d’Espagne recrutera une grande partie de sa cavalerie en Lombardie, à Naples, en Wallonie, en Franche-Comté, en Lorraine, ou encore en Allemagne. Ainsi, l’armée du Cardinal-Infante qui se dirige vers Nördlingen, en 1634, compte 700 cavaliers napolitains, 590 cavaliers bourguignons et 500 cavaliers lombards pour seulement 230 gardes à cheval espagnols, en deux compagnies.

Il existe alors trois grands types de cavaliers au service du royaume d’Espagne : le lancier (caballo-lanza), le cuirassé (caballo coraza qui a remplacé le reître ou herreruelo) et l’arquebusier à cheval (arcabucero a caballo).

La cavalerie l’espagnole est la dernière à utiliser des lanciers, en Europe, mais ceux-ci ne sont plus qu’en faible nombre, formant principalement des compagnies de Gardes. Ludovic Melzo, dont les Règles militaires pour le gouvernement et le service de la cavalerie furent publiées en 1619, affirmait que la principale utilisation de ces lances consiste à suivre les arquebusiers, lesquels, après avoir délivrer leur charge sur les troupes ennemies de face et par les côtés, les ayant décomposées et mises en confusion, seront suivies par la charge des lances par le côté ou de face en fonction de l’occasion ou de l’opportunité qui se présente. Mais il soulignait déjà qu’il fallait quatre conditions pour bien utiliser des lanciers : un terrain favorable, un cheval de qualité, un cavalier bien entraîné et une formation de combat adaptée, c’est à dire de petites troupes d’une trentaine de lances. Enfin, l’auteur espagnol liste l’équipement théorique du lancier : la cuirasse (plastron et dossière) à l’épreuve des balles, les cuissards (quixotes), les garde-reins, les brassards, la salade (celada, un casque à visière) et un gantelet à l’allemande à la main gauche. La lance du capitaine devra porter sa banderole de manière bien voyante. Les soldats peuvent remplacer les cuissards par des tassettes, plus pratiques pour le travail de la lance. Ils devront porter un pistolet d’un côté de l’arçon et la salade ou bourguignotte de l’autre.

(Aquarelles de K.A. Wilke)

Les caballos corazas sont, en cette première moitié du XVIIe siècle, similaires aux chevaux légers français. Ils forment à cet égard la plus grande part de la cavalerie espagnole. Melzo décrit ainsi leur équipement : les soldats des cuirasses doivent être armés d’un plastron et d’une dossière à l’épreuve du pistolet, et des autres armes que portent les soldats des lances, et de plus ils doivent porter des cuissards (quixotes). Ils doivent porter des pistolets d’arçon, et derrière, à droite, ils attachent d’ordinaire la salade (celada). Comme pour la cavalerie française, sous l’influence des Suédois et des Hongrois, cet équipement va progressivement s’alléger, à partir des années 1634-36, pour ne garder que la demi-armure et un casque de type bourguignotte ou capeline.

L’arquebusier à cheval est l’équivalent du carabin français. Melzo affirme que les arquebusiers à cheval furent inventés par les français, lors des dernières guerres du Piémont qui les appelèrent dragons, nom qu’ils gardent encore. Ayant appris l’avantage et l’utilité de cette nouvelle sorte de soldatesque, les Espagnols commencèrent aussi à les utiliser au sein de leur armée. Et lorsque le duc d’Albe passa dans les Flandres, il amena avec lui quelques une de ces compagnies. Elles servirent d’abord à pied, puis elles servirent à cheval, avez des arquebuses à rouet, et elles continuèrent à servir ainsi. Quand à son équipement, il écrit qu’il serait convenable d’armer les arquebusiers à cheval d’un plastron et d’une dossière (cuirasse), mais cela reste à prouver ; parce que embarrassés de ces armes, ils ne peuvent servir en les oc- casions où il est nécessaire de mettre pied à terre. (…) En aucun cas ils ne doivent mettre des cuissards, ni des garde-reins, parce qu’ils sont excessivement embarrassants lorsqu’il faut mettre pied à terre. Ils doivent porter une arquebuse légère… Les soldats devront porter un mousquet à rouet, de onze livres et demi de balle, le canon long de quatre palmes, qu’ils devront porter du côté droit avec la bandoulière ; et y ajouter un morion de même qualité et forme que celui du capitaine.

Dragons espagnols (Aquarelle de Wilke)

Enfin, les généraux possèdent fréquemment deux compagnies de gardes, une de lanciers et une autre d’arquebusiers à cheval. Les deux compagnies de gardes du Cardinal-Infante seront ainsi présentes à la bataille de Nördlingen. Melzo les évoquait déjà dans son traité, vers 1615.

La cavalerie espagnole est organisée en compagnies de théoriquement 100 chevaux. Chaque compagnie, commandée par un capitaine, doit aussi comprendre deux trompettes, un maréchal des logis, un fourrier, un chapelain, un armurier et un barbier. Melzo précise que les cuirassiers devront toujours se déplacer au trot, pour ne pas se désunir, et qu’ils devront être ordonnés en gros escadrons de 200 à 400 chevaux. Plus l’escadron sera renforcé, mieux ce sera, et la rencontre plus galante, et on pourra en attendre le meilleur effet, ajoute t-il.

L’Artillerie

Depuis 1609, selon Diego Ufano Velasco, l’artillerie espagnole n’utilise plus, théoriquement, que quatre calibres : le canon tirant 40 livres de balles, le demi-canon tirant 24 livres de balles, le quart de canon tirant 10 livres de balles et le quint de canon – ou octave et auquel on peut substituer la quart de couleuvrine – tirant 5 livres de bal- les. Seuls les deux derniers sont utilisés en campagne, les deux premiers étant réservés aux sièges.

Le déploiement de l’armée

Selon Brancaccio, une armée espagnole des années 1620 dispose sa cavalerie de chaque côté de l’infanterie, les troupes d’arquebusiers à l’extérieur, et les troupes de cuirassiers entre l’infanterie et les arquebusiers à cheval. Une troupe de près de 200 cuirassiers sera placée en avant, suivie de deux troupes de 300 cuirassiers de chaque côté et à 60 pas derrière, suivies de trois autres troupes à 60 pas derrière, dans les intervalles, puis enfin, un dernier échelon de deux troupes à 60 pas derrière, dans les intervalles. Au centre, l’infanterie est aussi disposée en échiquier, chaque escadron à 200 pas l’un de l’autre, pour laisser au second échelon la place de passer dans les intervalles. Le second échelon se positionne 20 pas derrière leur premier et les manches de mousquetaires et arquebusiers se dispo- sent entre les troupes de cavalerie et entre les escadrons d’infanterie.

Une relation du voyage du Cardinal- Infante en 1633-34, nous précise le déploiement réel d’une l’armée espagnole : début septembre 1634, peu avant la bataille de Nördlingen, toute l’infanterie se mit en escadrons, chaque tercio à côté l’un de l’autre, ainsi bien fixés, occupant un front de plus d’un quart de grande lieue (soit 1,5 kilomètre), ils étaient neuf tercios en tout, deux d’Espagnols, quatre de Napolitains, trois de Lombards et deux régiments d’Allemands. Chaque tercio constituait alors un escadron occupant un front de près de 170 mètres.

À Avins, le prince Thomas déploiera son infanterie sur deux lignes, les sept escadrons d’infanterie disposés en échiquiers. La cavalerie, dans un premier temps placée en un rideau pour masquer les lignes espagnoles, sera ensuite déployée sur les ailes et en seconde ligne.

Drapeaux espagnols (Aquarelle de K.A. Wilke)

Stéphane Thion

 

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